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L’expertise médicale et la présomption d’innocence

Affaire Bernard (23 avril 1998)

par
Dominique ALLIX
Professeur à l’Université de Paris-Sud


Accusé de plusieurs vols à main armée, M. Bernard est renvoyé devant la Cour d’assises du Haut-Rhin qui procède à l’audition des experts psychiatres commis par le magistrat instructeur. Ces experts ayant déclaré qu’il était " dangereux du fait des faits et que ne se reconnaissant ni malade, ni coupable donc, il n’était pas curable ", M. Bernard leur reproche de s’être prononcé sur la culpabilité et demande à la Cour de lui en donner acte. La Cour rejette ces conclusions au motif que ces phrases ou bribes de phrases, même si elles avaient été prononcées, étaient sorties du contexte dans lequel elles avaient été dites et qu’elles n’établissaient pas que les experts aient préjugé du fond, ni qu’ils se soient prononcés sur la culpabilité de l’accusé, alors même qu’au cours de leur audition, ils avaient toujours pris soin de préciser qu’ils exposaient le résultat de leur mission en rapport à des faits qui étaient niés par l’accusé.

Déclaré coupable des faits qui lui étaient reprochés et condamné à dix ans de réclusion criminelle, M. Bernard se pourvoit en cassation et fait valoir que les phrases prononcées par les experts étaient contraires au principe de la présomption d’innocence selon lequel ils avaient le devoir de ne pas manifester leur opinion sur la culpabilité de l’accusé. La Cour de cassation rejette ce pourvoi au motif que les propos rapportés ne constituaient pas un manquement au serment des experts d’apporter leur concours à la justice en leur honneur et conscience, tel que prévu par l’article 168 C.P.P.

Se plaignant d’une violation de son droit à un procès équitable et du principe de la présomption d’innocence, M. Bernard a saisi la Commission qui, par sept vois contre sept avec la voix prépondérante de la présidente, a conclu qu’il y avait bien eu violation du droit à un procès équitable, ce qui rendait sans objet l’examen du grief concernant la présomption d’innocence. Mais, saisie par la Commission, la Cour a conclu, par huit voix contre une, qu’il n’y avait eu aucune violation des articles 6 §§ 1 et 2.

Rappelant que la présomption d’innocence figure parmi les éléments du procès équitable, la Cour précise que sa tâche consiste à rechercher si la procédure litigieuse, envisagée comme un tout, y compris le mode d’administration des preuves, a revêtu un caractère équitable.

Ce faisant la Cour relève :

- qu’ayant à répondre à la question de savoir si l’intéressé souffrait d’une quelconque anomalie mentale et psychique, et dans l’affirmative, s’il existait un lien entre ces affections et les faits qui lui étaient reprochés... les deux spécialistes nommés par le juge d’instruction devaient en toute logique partir de l’hypothèse de travail selon laquelle le requérant était l’auteur des crimes à l’origine des poursuites ;

- que les phrases contestées n’établissaient pas que leurs auteurs avaient préjugé du fond ni qu’ils s’étaient prononcés sur la culpabilité de l’accusé ;

- que les experts avaient toujours pris soin de préciser qu’ils exposaient leur mission par rapport à des faits qui étaient niés par le requérant ;

- que les témoins cités par la défense avaient été entendus et que la défense avait eu la possibilité de formuler des observations après chaque audition et présentation des preuves ;

- qu’aucun manquement au serment des experts d’apporter leur concours à la justice en leur honneur et en leur conscience, tel que prévu par l’article 168 du C.P.P. n’avait été constaté du fait des propos incriminés.

Et de conclure que le dossier montrant que la condamnation du requérant reposait sur l’ensemble des charges retenues et sur des preuves recueillies lors de l’instruction et discutées au cours des audiences devant la Cour d’assises, l’on ne saurait considérer les déclarations litigieuses, élément soumis parmi d’autres à l’appréciation du jury, comme contraires aux règles du procès équitable et à la présomption d’innocence.

Il reste que le but de la Convention consiste à protéger des droits non pas théoriques ou illusoires, mais concrets ou effectifs. Or, n’y a-t-il pas atteinte aux droits de la défense et à la présomption d’innocence lorsque des conclusions expertales émanant par définition d’une autorité qualifiée reflètent le sentiment ou laissent à penser que l’accusé est coupable des faits qui lui sont reprochés ?

Certes les experts ne sont pas des juges. Mais ils sont commis par un juge et la présomption d’innocence exige qu’aucun représentant de l’Etat ne déclare une personne responsable d’une infraction avant que sa culpabilité n’ait été légalement proclamée. Ne voir dans les conclusions expertales qu’un élément de preuve parmi d’autres revient à occulter l’essentiel : les experts sont requis par l’autorité judiciaire et leur statut, différent de celui de simples témoins, confère une importante particulière aux avis qu’ils émettent devant les juges non professionnels que sont les jurés.

En affirmant que l’accusé était " dangereux du fait des faits et que ne se reconnaissant pas malade ni donc coupable, il n’était pas curable ", les experts confortaient la thèse de l’accusation et fragilisaient la présomption d’innocence. Comment comprendre devant de tels propos que les experts ne préjugeaient pas du fond et ne se prononçaient pas sur la culpabilité, mais que leur contribution ne visait qu’à apprécier la personnalité de l’accusé afin de déterminer sa responsabilité au moment des faits, à les supposer établis, et d’apprécier son aptitude à la sanction pénale ?

On peut toujours présumer avec le juge Bernhardt (cf. opinion concordante) que tous les membres de la Cour d’assises connaissaient le rôle particulier dévolu aux experts en matière pénale mais eu égard à la spécificité de la procédure d’assises, l’instruction devant se faire oralement à l’audience, l’arrêt de condamnation n’était pas motivé et aucun compte rendu officiel des débats n’étant prévu par le C.P.P., rien ne permet de s’en assurer...

Mais il s’agit là d’un autre procès : celui de la Cour d’assises !

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