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L'équité de la procédure en 
matière administrative
 
  
Le rôle du Commissaire du 
gouvernement 
devant le Conseil d'Etat 
(arrêt Kress du 7 juin 2001) 
  
par 
  
François-Guilhem BERTRAND 
Professeur à l'Université de 
Paris XI  
  
  
Ce début d’après-midi sonne 
l’heure de l’arrêt Kress : craint ou attendu, en tout cas, commenté, 
analysé, soupesé dans ses termes, dans ses perspectives et dans l’opinion 
partiellement dissidente commune à sept des juges de la grande chambre, y 
compris son président. ("Le commissaire du gouvernement et les exigences du 
procès équitable (l’arrêt Kress de la Cour européenne des droits de l’Homme du 7 
juin 2001", RFDA, 2001, p. 991, dossier comprenant le texte de 
l’essentiel de l’arrêt, l’opinion partiellement dissidente, avec deux 
commentaires : B. Genevois, "Réconfortant et déconcertant", ibid., p. 
991 ; J.I. Autin et F. Sudre, "Juridiquement fragile, stratégiquement correct",
ibid., p. 1000 ; J. Andriantsimbazovina, D., 2001, chron. p. 1188 
(chronique publiée quelques jours avant l’arrêt Kress) ; J. 
Andriantsimbazovina, "Savoir n’est rien, imaginer est tout, libre conversation 
autour de l’arrêt Kress de la Cour européenne des droits de l’Homme", 
D., 2001, chron., p. 2611 ; D. Chabanol, "Théorie de l’apparence ou 
apparence de théorie ? Humeurs autour de l’arrêt Kress", AJDA, 
2002, p. 9 ; R. Drago, "Le Conseil d’Etat français et la Convention européenne 
des droits de l’Homme", D., 2001, J, p. 2619 ; J.-F. Flauss, "La double 
lecture de l’arrêt Kressc/France, Les petites affiches, 2001, n° 
197, p. 13 ; Ch. Maubernard, "L’arrêt Kress c/France de la Cour 
européenne des droits de l’Homme : le rôle du commissaire du gouvernement près 
du Conseil d’Etat à la lumière de la théorie des “ apparences", R.D.P., 
2001, chron. adm. p. 895 ; F. Rolin, "Le rôle du Commissaire du gouvernement du 
Conseil d’Etat au regard de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits 
de l’Homme", AJDA, 2001, p. 675 ; F. Sudre, "La compatibilité de 
l’institution du commissaire du gouvernement près le Conseil d’Etat à l’article 
6 de la Convention européenne des droits de l’Homme : l’arrêt Kress c/France 
ou le triomphe des “ apparences", JCP, 2001 II 10578). 
  
La procédure administrative 
française qui va aboutir à notre arrêt a duré une dizaine d’années, depuis 
l’accident vasculaire subi par Mme Kress le 8 avril 1986 au cours d’une 
intervention chirurgicale à Strasbourg jusqu’à l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 
juillet 1997. 
  
Mme Kress ayant reçu réparation 
en 1991 pour une brûlure à l’épaule occasionnée par une tasse de thé verra 
cependant l’essentiel de sa demande rejetée aussi bien en première instance 
qu’en appel ou en cassation. 
  
Devant ces échecs répétés le 
conseil de Mme Kress va songer à mettre en cause, outre la durée excessive de la 
procédure, le rôle du commissaire du gouvernement devant la Haute Assemblée en 
avançant le non respect de l’exigence du procès équitable et le principe de 
l’égalité des armes. 
  
En l’espèce, la violation de 
l’article 6-1 de la Convention résulterait, selon la requérante, de trois 
éléments distincts : 
  
- défaut de communication des 
conclusions avant l’audience ; 
- impossibilité de répliquer au 
commissaire du gouvernement qui parle en dernier lieu à l’audience ; 
- assistance du commissaire du 
gouvernement au délibéré quand bien même il ne vote pas. 
  
Les deux premiers griefs sont 
rejetés par la Cour de Strasbourg qui va, en revanche, considérer qu’il y a 
violation de la Convention du fait de la participation du commissaire du 
gouvernement au délibéré de la formation du jugement. 
  
Elle admettra par ailleurs que 
la durée de la procédure n’a pas été raisonnable. 
  
C’est la  sensibilité accrue du 
public aux garanties d’une bonne justice justifiant l’importance croissante 
attribuée aux apparences qui justifie la décision de la Cour en ce qui concerne 
la participation du commissaire du gouvernement au délibéré. 
  
Ce raisonnement est très 
vivement critiqué sur ce point par les sept juges ayant émis une opinion commune 
partiellement dissidente. 
  
Un arrêt réconfortant selon B. 
Genevois car il sauve l’essentiel de l’institution, mais un arrêt déconcertant, 
toujours selon B. Genevois, car il ébranle, sans grande justification, une 
“ institution respectée et reconnue depuis un siècle et demi ” (selon l’opinion 
commune partiellement dissidente). 
  
Il nous paraît surtout qu’après 
avoir marqué un certain progrès dans la connaissance du fonctionnement de la 
juridiction administrative (I) , l’arrêt masque derrière cette apparence une 
incompréhension radicale de l’institution (II) 
  
I • Un progrès dans la connaissance du fonctionnement de la 
juridiction administrative
  
A • De l’arrêt 
Borgers (1961) à l’arrêt
Kress (2001) 
  
Pourquoi la juridiction  
européenne s’intéresse-t-elle au fonctionnement des juridictions ? 
  
En soi, l’interrogation est 
 légitime, le droit au juge doit être apprécié dans son fonctionnement concret, 
l’effectivité et l’efficacité des procédures  doivent être prises en compte au 
regard des exigences des articles 6 et 13 de la Convention ; la Cour de 
Strasbourg est dans son rôle lorsqu’elle entend le vérifier. 
  
Cela étant, son rôle devient 
discutable et “sujet à caution” lorsqu’elle entend privilégier un type de juge 
et opposer deux systèmes qui ont chacun leurs justifications et leurs faiblesses 
mais qu’il ne faut certes pas juger ni rejeter ou adopter globalement. 
  
A défaut, la jurisprudence de la 
Cour donne une apparence d’incertitude qui va à l’encontre de son rôle. 
  
Ainsi, le raisonnement mené dans 
l’arrêt Reinhard et Slimane Kaïd (31 mars 1998) se trouve infirmé dans 
l’arrêt Morel (6 juin 2000) commenté par M.L. Niboyet l'an dernier (cf. 
Cahier du CREDHO, n° 7/2000). 
  
Le rapporteur, le juge 
commissaire sont des institutions spécifiques à un système juridictionnel où le 
juge participe à l’instruction ce qui n’est pas le cas des juridictions 
anglo-saxonnes. 
  
Mais on observera que la 
pratique de l’opinion dissidente est plus déroutante encore. 
  
Plutôt que de condamner de 
manière abstraite il paraît plus conforme à l’esprit de la Convention de 
vérifier concrètement les garanties qu’offrent les différents systèmes et de 
proposer des solutions propres à les améliorer. 
  
En ce sens, les arrêts  rendus 
par la Cour de Strasbourg depuis dix ans témoignent avec des hésitations et des 
incertitudes propres à tout organisme collégial d’une certaine prise en compte 
de la réalité des juridictions 
  
B • Le rôle du commissaire du 
gouvernement 
  
En dépit d’une littérature 
abondante, le rôle du commissaire du gouvernement n’est pas dégagé avec 
certitude dans ses origines. 
  
Un ministère public, un juge 
détaché pour certains, il constituerait même une partie jointe ; Tony Sauvel, R. 
Guillien et les auteurs qui se penchent sur l’institution ne sont d’accord que 
sur son indépendance que les affaires Reverchon et Gervaise 
permettront de dégager. 
  
En réalité, il s’agit d’une 
institution spécifique qui comme la juridiction administrative elle-même, est à 
l’origine de résultats suffisamment féconds pour qu’on ne la détruise pas au nom 
d’un juridisme abstrait (conclusions Rougevin-Baville sous CE, 25 janvier 1980,
Gadiaga et autres, Rec.,  p. 44). 
  
C’est à cette approche que se 
sont ralliés les sept juges dans leur opinion commune partiellement dissidente : 
la Cour aurait dû “ laisser intacte une institution respectée et reconnue depuis 
plus d’un siècle et demi ”. 
  
 Au fond en sauvant 
l’institution elle-même, mais en la privant d’une partie de ses prérogatives : 
assister au délibéré, la Cour reconnaît l’institution tout en l’affaiblissant. 
“ La légère meurtrissure (…) d’une marche invisible et sûre, en a fait lentement 
le tour (…) n’y touchez pas, il est brisé ” (Sully Prud’homme). 
  
Etranger aux parties mais jouant 
un rôle dans la partie, son rôle essentiel est sauvegardé, mais son rôle plein 
et entier est irrémédiablement affecté. 
  
II • L’arrêt masque une incompréhension radicale
  
A • Les deux conceptions du juge arbitre
  
Juge arbitre, soit, mais quel 
arbitre ? Celui qui dirige dès le début, oriente et intervient dans le débat 
pour le réguler et éventuellement rétablir un équilibre rompu, ou bien celui qui 
bien qu’absent des débats garde sa faculté de trancher car il reste en dehors ? 
  
Un juge qui peut parler avant la 
décision et auquel on pourra répliquer par une note en délibéré dont le Conseil 
d’Etat admet maintenant la possibilité par un arrêt rendu un mois après l’arrêt
Kress (CE, 12 juillet 2001, Einhorn). 
  
La Cour est ainsi entendue dans 
ce que sa décision sur la réalité de la pratique de la note en délibéré avait de 
plus hypothétique… 
  
Sans reprendre la notion d’allié 
objectif d’une des parties, comme elle l’avait fait dans l’arrêt Reinhard et 
Slimane Kaïd, la Cour pousse le plus loin possible l’exigence du 
contradictoire mais écarte le commissaire du gouvernement du délibéré car ayant 
parlé, ayant donné son opinion, sa présence va peser sur la discussion des 
autres juges même si l’on admet qu’il y assiste sans y prendre part.
 
B • Le commissaire du 
gouvernement exclu du délibéré 
  
En se fiant à l’apparence, la 
Cour a éludé le véritable problème posé par ce juge qui parle. 
  
Certes, comme le rappellent les 
juges dissidents, l’institution est respectée et reconnue, et il est encore vrai 
de dire que si le commissaire du gouvernement a une opinion et l’exprime, il n’a 
pas pour autant manqué à son devoir d’objectivité dans l’examen personnel qu’il 
a fait du dossier et qui l’a conduit à sa prise de position. 
  
Cela étant, la Cour semble avoir 
oublié que le commissaire du gouvernement peut peser sur le délibéré du Conseil 
d’Etat d’une façon très directe et importante. 
  
L’article R 122-17 du Code de la 
juridiction administrative porte que le commissaire du gouvernement peut 
demander avant l’audience, ou même au cours du délibéré, que le jugement de 
l’affaire soit renvoyé à une autre formation de jugement. 
  
La décision de renvoi peut peser 
de façon décisive sur le jugement de l’affaire et il est regrettable que la Cour 
de Strasbourg ne l’ait pas souligné. 
  
Or, cette possibilité donnée par 
le Code de justice administrative n’est pas entièrement liée à la présence du 
commissaire du gouvernement lors du délibéré. 
  
Ce rôle spécifique qui n’existe 
que devant le Conseil d’Etat est une réalité et non une apparence : la Cour 
aurait été bien avisée d’en faire mention. 
  
Conclusion  
La leçon donnée par l’arrêt 
Kress est donc incertaine, le satisfecit sous réserve relève sans 
doute de l’adresse politique ou diplomatique, mais elle ne satisfait guère le 
juriste. 
  
Faut-il rappeler à cet égard 
avec J. Kahn que ce qui fait le juge ce n’est pas la nature de la 
question qui lui est posée mais la structure de la réponse qu’il donne (AJDA, 
1974, p. 38) 
  
 Il est temps que la Cour de 
Strasbourg délaisse les attraits surannés des appâts rances de l’apparence pour 
une appréciation du fonctionnement réel des juridictions au regard des exigences 
de la Convention. 
  
Si l’arrêt Kress devait 
contribuer à cette prise de conscience, il n’aurait pas été tout à fait inutile.   | 
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Débats
   
  
M. Frédéric Rolin 
(Professeur à l’Université d’Evry-Val d’Essonne)
  
Je voudrais faire deux 
observations à la suite de l'intervention très intéressante de M. Bertrand.
 
  
Au sujet de la responsabilité de 
l'Etat pour dysfonctionnements de la justice, je voudrais indiquer qu’en 
réalité, mais cela vous a peut-être échappé, il y a eu un arrêt important rendu 
par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation le 23 février 2001 précisément 
dans l'affaire de la Vologne, de l'affaire tragique du jeune Grégory. Dans cette 
affaire, il est vrai que ce n'était pas directement la durée de la procédure qui 
était en cause, mais c'était un arrêt, je crois important, parce qu’il marque 
une évolution très substantielle de la notion de faute lourde engageant la 
responsabilité de l'Etat. C’est-à-dire que nous avons admis par opposition à la 
jurisprudence antérieure que des dysfonctionnements graves dans le service de la 
justice, même si isolément ils étaient suffisants à constituer la faute lourde, 
peuvent constituer cette faute lourde engageant la responsabilité de l'Etat  à 
partir du moment où ils sont nombreux et ils marquent un manquement au devoir 
élémentaire de bon fonctionnement de la justice. Il y a donc quand même là une 
ouverture sur la responsabilité de l'Etat.  
  
Quant à la deuxième 
observation : vous avez dit que les textes concernant les avocats généraux à la 
Cour de cassation devaient être modifiés, j'en suis tout à fait d'accord, là je 
suis pleinement d'accord avec ce que vous avez dit, c’est en cours d'ailleurs. 
Nous étudions actuellement tous les textes qui doivent être modifiés pour 
supprimer l'apparence précisément de subordination des avocats généraux au 
procureur général, l’apparence de subordination même au Garde des sceaux. Je 
dois vous dire même qu'il y a actuellement un travail très important qui est 
opéré par M. Badinter qui s'intéresse à cette question et qui est en train de 
préparer des textes pour essayer de proposer cela à la Cour européenne des 
droits de l'Homme. C’est simplement une observation complémentaire. 
 
  
M. Victor Haïm 
(Professeur associé à l’Université de Paris XI)
  
Je suis 
l'auteur de la thèse selon laquelle la Cour doit être “ supprimée ” ou, du 
moins, dans l’intérêt même des justiciables, ne plus pouvoir être invocable en 
matière administrative, lorsqu’une personne publique est partie au litige 
autrement que comme auteur d’une sanction. 
Ce que je 
viens d’entendre à l’instant sur le fonctionnement supposé des tribunaux 
administratifs – qui relève de la réécriture du C.J.A. plus que de sa lecture - 
me conforte dans le sentiment que le droit à un procès équitable est à ce prix. 
En effet, si des juristes français ne peuvent voir la place du Commissaire du 
gouvernement dans le processus de décision juridictionnelle et l’intérêt de 
cette institution pour les justiciables, comment attendre que des juristes 
auxquels notre système est totalement étranger le comprennent ? 
Je voudrais 
faire sur ce point trois observations. 
1) La première concerne les 
formations de jugement et le rattachement des Commissaires du gouvernement. 
Le Code 
définit la structure des juridictions administratives et le nombre de leurs 
chambres ; toujours en vertu du Code, il appartient aux présidents de 
juridiction d’affecter les magistrats dans ces chambres qui, par ailleurs, 
constituent aussi – toujours en vertu du Code – les formations normales de 
jugement. Ainsi, comme l’a d’ailleurs relevé le professeur Bertrand, il n’y a 
pas de spécificité statutaire des Commissaires du gouvernement comme il y en a 
une des membres du parquet : les Commissaires du gouvernement sont, à l’instar 
des présidents de chambre et des rapporteurs, membres de la chambre/formation de 
jugement à laquelle ils ont été affectés et ils ont le même cursus professionnel 
que leurs collègues affectés dans les fonctions de rapporteur. D’ailleurs, ceux 
qui sont en poste dans les tribunaux administratifs peuvent être à la fois 
Commissaire du gouvernement et rapporteur (dès lors, du moins, que ce n’est pas 
sur les mêmes dossiers !). En revanche, conformément à une tradition qui pourra 
paraître contestable, ils se trouvent momentanément écartés de la formation de 
jugement lorsqu’il s’agit de décider (vote) au moment du délibéré. 
2) Ma deuxième observation sera 
une sorte de plaidoyer pro domo. En écoutant le précédent intervenant 
j’ai eu l’impression que, selon lui, il n’y a que deux personnes qui voient les 
dossiers - le rapporteur et le Commissaire du gouvernement - et que le 
Commissaire du gouvernement, qui est le dernier à parler, va marquer la 
formation de jugement et se révéler un “ adversaire objectif ” de la partie 
contre laquelle il aura conclu. 
Cette 
approche est révélatrice d’une incontestable méconnaissance des juridictions 
administratives et est finalement très choquante parce qu’elle suppose ou 
implique comme conception de leur fonctionnement.  
En premier 
lieu, contrairement à ce qui a été dit, il n’y a pas que deux personnes qui 
voient les dossiers, mais trois : le rapporteur, le président de la formation et 
le Commissaire du gouvernement. 
En second 
lieu, sauf si le rapporteur et le président ont de la réponse à apporter à une 
question une analyse différente, le Commissaire du gouvernement, s’il ne partage 
pas l’analyse de ses collègues, devra les convaincre, ainsi que le troisième 
membre de la formation, du bien-fondé de son analyse. Le nombre joue toujours 
contre lui. 
En troisième 
lieu, selon mon expérience les membres d’une formation de jugement sont 
suffisamment avertis et intelligents pour, selon le cas, reprendre la thèse du 
Commissaire du gouvernement ou l’écarter. Et parce que je pense qu’une formation 
de jugement n’est pas nécessairement composée uniquement d’imbéciles et de 
simples d’esprit et que ce n’est donc pas forcément le dernier à avoir parlé qui 
a raison, il me paraît déplacé d’accorder au Commissaire du gouvernement un 
poids ou une autorité qu’il est loin d’avoir toujours. 
3) Ma troisième observation me 
fera quitter un court instant le plan juridique.  
Il est sans 
doute inutile de rappeler qu’il est impossible de soutenir son attention pendant 
bien longtemps et plus encore de mémoriser tous les détails d’un exposé ou d’une 
démonstration. Il y a un temps d’écoute et un temps d’assimilation. Si on 
interrogeait, au hasard, une personne dans l’auditoire en lui demandant de 
répéter le début de l’exposé que vient de faire le professeur Bertrand, nul 
doute qu’elle n’y arriverait pas. Lorsque le Commissaire du gouvernement a 
rappelé des faits et exposé des questions de droit pendant 3 heures, qui oserait 
soutenir qu’au moment du délibéré il ne serait pas utile qu’il rappelle tel ou 
tel point du dossier ou de la jurisprudence sur laquelle il s’est appuyé ? Et 
s’il doit parler à l’audience pour définitivement se taire après nonobstant 
cette déperdition d’information dont il aurait pu avoir pour mission de limiter 
les effets, quel peut être l’intérêt de maintenir l’institution ? Autant la 
supprimer ou, mieux encore, laisser le Commissaire du gouvernement décider sur 
quels dossiers il conclura à l’audience. 
En 
définitive, par delà la référence aux notions d’ “ alliés ” et d’ “ adversaires 
objectifs ” - qui ont plus leur place dans l’idéologie althussérienne ou sous la 
plume d’un pronostiqueur hippique que dans l’analyse de la mission et du travail 
de réflexion du juge (quelles que soient ses fonctions dans sa chambre) -, le 
fait que le Commissaire du gouvernement soit présent et qu’il puisse s’exprimer 
s’il y est invité par le président de la formation, me semble non seulement 
utile, mais même nécessaire et dans l’intérêt du justiciable, si, du moins, on a 
à l’esprit que le Commissaire du gouvernement a, comme les autres membres de la 
formation, le souci de trouver la solution juridiquement la meilleure possible 
au litige sur lequel il faut statuer.  
Je ferai une 
dernière remarque.  
Globalement, 
les juridictions administratives – C.E., C.A.A. et T.A. – rendent environ 100 à 
150.000 décisions par an (en moyenne 1 an après l’introduction de la demande 
dans les tribunaux administratifs et 2 ans dans les Cours). Or, en 2001, sauf 
erreur de ma part, il n’y a eu guère plus d’une douzaine d’arrêts de la Cour 
européenne des droits de l’Homme rendus dans des litiges mettant en cause la 
méconnaissance de l’art. 6 § 1 de la Convention par ces juridictions. J’en 
déduis que le fonctionnement actuel de la juridiction administrative ne paraît 
pas, à l’immense majorité des justiciables, à ce point attentatoire au droit à 
un procès équitable qu’ils se précipitent tous à Strasbourg – où, soulignons le, 
leur affaire, aussi simple soit-elle, ne sera pas jugée avant 3 ou 4 ans, par 
une Cour plus soucieuse de l’apparence du Droit que de sa réalité et des droits 
des justiciables, et qui accordera finalement au requérant le “ tarif syndical ” 
de 30 ou 40 000F (5 à 6 000 €) en réparation d’un préjudice moral dont 
l’évidence n’est pas toujours la première vertu. Il n’y a pas là de quoi 
bouleverser l’équilibre budgétaire d’un pays, ni même, plus modestement, de quoi 
inciter à d’importantes réformes de la justice dont on voit déjà qu’elles auront 
pour objet d’accélérer le jugement des affaires au détriment de la justice et 
des droits des justiciables. 
Mais je 
pense que j’aurai peut-être quelques contradicteurs et je laisse la parole. 
  
M. Jocelyn 
Clerckx (Docteur 
en droit) 
  
Je souhaiterais poser une 
question au professeur Bertrand. L’arrêt Kress pose le principe de 
l’interdiction de la participation du Commissaire du gouvernement au délibéré, 
ce dernier ayant déjà été amené à se prononcer ouvertement sur l’affaire en 
cause. Pourtant, et vous avez insisté sur ce point, le Commissaire du 
gouvernement est bien un juge. On est tenté dès lors de faire un rapprochement 
avec le rapporteur, qui lui aussi, juge à part entière, participe au délibéré, 
alors que de par ses fonctions il a également été conduit, un peu comme le 
Commissaire du gouvernement, à prendre préalablement position. Si l’on se place 
dans la logique de l’arrêt Kress, cette situation ne risque-t-elle pas, 
elle aussi, d’être incompatible, aux yeux des juges de Strasbourg, avec le 
principe d’impartialité ? 
  
M. François-Guilhem 
Bertrand
 
  
L’interdiction de la 
participation du juge rapporteur au délibéré serait effectivement dans la 
logique de l’arrêt Reinhardt (CEDH 31 mars 1998, Reinhardt et Slimane 
Kaïd, Cahiers du CREDHO, n° 5, p 41). 
  
Cependant, comme j’ai essayé de le montrer, il y a une double 
évolution dans la jurisprudence de la Cour. La première va de l’arrêt 
Borghers 
(30 octobre 1991) à l’arrêt 
Rheinhardt
de 1998 qui marque en quelque sorte le sommet de la critique par 
la Cour du système procédural français. Mais, ensuite, de l’arrêt Reinhardt à 
l’arrêt 
Kress, 
on peut noter une évolution en sens inverse. La Cour admet aujourd’hui que le 
rapporteur n’est pas l’allié objectif de l’une des parties. 
  
Cette 
position ancienne de la Cour témoignait d’une méconnaissance totale de ce qu’est 
le rôle du rapporteur et de la manière dont les choses se passent concrètement. 
Contrairement à une idée reçue, le rapporteur ne vient pas à l’audience avec un 
seul projet d’arrêt qu’il va s’efforcer de faire adopter. Dans les affaires 
délicates, le rapporteur propose plusieurs projets d’arrêts, il est l’allié 
objectif de la majorité qui va se dégager au sein de la juridiction mais 
sûrement pas d’une des parties. 
  
J’en viens 
au rôle du Commissaire du gouvernement. 
  
Je crois 
qu’il faut bien distinguer son rôle direct dans l’affaire en cause et son rôle 
indirect dans les affaires ultérieures. 
  
Un exemple 
fera mieux comprendre que ce rôle indirect ne découle pas de sa présence au 
délibéré mais de la réflexion qu’il engage à propos d’une affaire ultérieure 
avec éventuellement un autre commissaire du gouvernement et une autre 
composition. Le Tribunal des conflits a jugé en 1982 que l’activité des 
abattoirs publics était, depuis la loi de 1965, une activité industrielle et 
commerciale relevant des tribunaux de l’ordre judiciaire  (TC 8 novembre 1982,
Société anonyme 
Maine-Viande et autres,
Rec., 
p. 460). 
  
Cette 
décision, rendue sur renvoi du Conseil d’Etat, pour difficulté  sérieuse de 
compétence, ne s’explique que si l’on se réfère à un épisode antérieur. Quelques 
mois auparavant, M. Braibant, commissaire du gouvernement, concluait devant le 
Conseil d’Etat dans une affaire de redevance d’abattage d’un abattoir public. 
  
Ces affaires 
venaient régulièrement devant le Conseil d’Etat et aucune difficulté de 
compétence n’était soulevée ; on considérait que l’activité des abattoirs 
publics était une activité de service public administratif relevant des 
tribunaux administratifs. Or, ce jour là, M. Braibant a évoqué le problème de 
compétence par une remarque incidente qui ne figurait même pas dans ses 
conclusions écrites. La remarque est donc passée inaperçue… sauf du jeune avocat 
qui était présent ce jour là. 
  
La réflexion de M. Braibant 
s’est poursuivie et a abouti à la décision Maine-Viande, mais ce que je 
veux souligner avec force c’est que le raisonnement du Commissaire du 
gouvernement n’a pas pesé sur la première décision mais dans une autre affaire 
rendue postérieurement par une autre juridiction. 
  
Donc, contrairement à la crainte 
implicitement contenue dans la décision Kress, l’influence du Commissaire 
du gouvernement n’est pas liée à sa présence au délibéré mais à des facteurs qui 
sont parfois extérieurs à sa prestation et qui vont jouer un rôle dans 
l’évolution de la jurisprudence. 
  
M. Frédéric 
Rolin 
  
Un dernier mot pour ce qui 
concerne l'opinion de M. Haïm qui estime que le commissaire du gouvernement fait 
partie de la formation du jugement. J'aimerais qu’on me cite la ou les 
dispositions du code de justice administrative sur la composition des formations 
de jugement, et qu’on me montre laquelle mentionne le commissaire du 
gouvernement comme en faisant partie. Et si elle n'existe pas, j'aimerais qu’on 
m’explique comment un jugement peut être rendu dans une formation autre que 
celle qui est prévue par la loi.  
  
M. Paul 
Tavernier  
  
Je n’interviendrai pas dans ce 
débat sur l’affaire Kress et je crois qu’on pourrait en parler très 
longtemps, mais les trois exposés que nous avons entendus peuvent susciter 
quelques remarques d’ordre général. Malgré l’apparente disparité et diversité 
des questions abordées, tout tourne autour de l’équité de la procédure et je 
dirai d’abord qu’il y a une remarque qui m’a beaucoup intéressée. Mme d’Urso, 
-ou le ministère de la Justice-, a été surprise du fait que la Cour de 
Strasbourg n’a pas bien compris le système français de la curatelle. Au 
contraire dans l’affaire Kress, François-Guilhem Bertrand nous a montré 
que l'arrêt présente quelques éléments positifs, dûs probablement à la présence 
de Jean-Paul Costa. Il est vrai que la présence du juge national est très 
importante, mais la plaidoirie et le fait pour le gouvernement d’expliquer sa 
position et les particularités de son système juridique peut aussi éclairer la 
Cour sur les subtilités du droit national. C’est un premier point. D’autre part, 
il me semble que les trois affaires montrent l’importance de la clarté de la 
législation nationale parce que toutes les difficultés qu’on a soulevées à 
propos de l’équité de la procédure tenaient à des dispositions compliquées, sans 
doute trop compliquées, notamment en matière de délais. Effectivement le système 
qui fait courir le délai du départ de la lettre n’est peut-être pas très 
satisfaisant. Même si c’est un point de détail, pourrait-on dire, cela entraîne 
des conséquences importantes pour le justiciable. L’Etat a donc une obligation 
de clarté rappelée dans la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. 
 
  
Une dernière remarque : il ne 
faut pas trop se concentrer sur les affaires françaises ou francophones. Les 
Britanniques sont de plus en plus mis en cause devant la Cour de Strasbourg, me 
semble t-il, pour des problèmes d’équité de la procédure. Il y a eu toute une 
série d’arrêts rendus cette année. Le Royaume-Uni, qui a pourtant une longue 
tradition dans ce domaine, doit aussi revoir sa copie sur un certain nombre de 
points. 
  
Mme Françoise 
Tulkens  
  
Je trouve tout d’abord que les 
différents commentaires et analyses des arrêts de la Cour sont d’un très grand 
intérêt. En outre, la lecture des arrêts de la Cour par une bonne doctrine, une 
doctrine imaginative, créatrice, qui permet d’aller plus loin, nous aide 
beaucoup dans notre travail. Elle permet la clarification de certains points, la 
mise en évidence de certaines ambiguïtés ou de certaines faiblesses. J’y suis en 
ce qui me concerne très attentive car j’y vois autant d’occasions d’affiner le 
raisonnement, d’améliorer mon travail. 
  
En ce qui concerne l’affaire 
G.B. c/France (arrêt du 2 octobre 2001), il faut rappeler qu’il y avait un 
précédent dans cette affaire, l’arrêt Bernard c/France du 23 avril 1998. 
Or, vous savez que la Cour est attentive à la question des précédents. Elle l’a 
dit expressément dans l’arrêt Cossey c/Royaume-Uni du 27 septembre 1990 
(§ 35) et l’a rappelé dans l’arrêt Chapman c/Royaume-Uni du 18 janvier 
2001 : “ Sans être formellement tenue de suivre l’un quelconque de ses arrêts 
antérieurs, la Cour considère qu’il est dans l’intérêt de la sécurité juridique, 
de la prévisibilité et de l’égalité devant la loi qu’elle ne s’écarte pas sans 
motif valable des précédents. La Convention étant avant tout un mécanisme de 
défense des droits de l’Homme, la Cour doit cependant tenir compte de 
l’évolution de la situation dans les États contractants et réagir, par exemple, 
au consensus susceptible de se faire jour quant aux normes à atteindre ” (§ 70). 
  
Dans l’analyse de l’arrêt 
Krombach c/France du 13 février 2001, j’éprouve une certaine difficulté à 
suivre le commentateur lorsqu’il soutient que la jurisprudence de la Cour 
conduirait à reconnaître le droit pour le prévenu de ne pas assister à son 
procès. Ceci me paraît une généralisation qui va au-delà de la lettre et de 
l’esprit de la jurisprudence de la Cour en cette matière. Dans cet arrêt, comme 
dans des arrêts antérieurs tels par exemple l’arrêt Van Geyseghem c/Belgique 
du 21 janvier 1999, la Cour a, dans la confrontation entre les droits, soutenu 
que l’accusé ou le prévenu ne pouvait perdre le bénéfice des droits de la 
défense en raison de son absence au procès. La Cour s’est située dans le cadre 
de cet équilibre là. 
  
Dans la mesure où tout ce qui 
concerne la procédure devant la Cour de cassation en France soulève de 
nombreuses interrogations, je pense qu’il serait intéressant de les regrouper 
dans une analyse d’ensemble. Il y a un point que je voudrais encore ajouter et 
qui concerne le recours à un avocat spécialisé. D’un côté, j’entends de tous 
côtés et je peux comprendre l’argument, qu’il est illusoire pour une personne 
individuelle, sans avocat ou alors avec un avocat “ ordinaire ”, de défendre 
valablement ses chances devant l’instance en cassation. Le fait qu’en France, 
comme dans d’autres pays, un avocat spécialisé en matière pénale ou dans le 
contentieux social n’est pas requis, n’est-ce pas créer une forme d’illusion ? 
D’un autre côté, toute la question de l’aide juridictionnelle devant la Cour de 
cassation me pose aussi, quant à moi, problème. J’ai des difficultés à accepter 
la doctrine de l’absence de moyen de cassation sérieux à appliquer uniquement au 
justiciable qui sollicite l’aide juridictionnelle. Mais cela, comme je l’ai dit 
dans une opinion dissidente dans l’arrêt Del Sol c/France du 26 février 
2002, c’est une opinion personnelle et, contrairement au beau film que je viens 
de voir, “ Une hirondelle a fait le printemps ”, l’opinion d’un juge n’est pas 
celle de la Cour ! 
  
Ma dernière question concerne 
les délais de procédure. De tous côtés est invoqué le fait que des procédures 
trop longues entraînent en définitive un déni de justice. Je le constate bien 
fréquemment. Comment effectivement réagir à ce mal qui gangrène de nombreux 
systèmes judiciaires des pays européens ? La loi Pinto qui a été adoptée en 
Italie introduit un recours, de nature indemnitaire, devant les tribunaux 
internes. Cette voie de recours est donc, dans l’état actuel des choses, à 
épuiser avant de s’adresser à la Cour. Il faudra toutefois que la Cour examine 
le caractère effectif de ces recours. En France, l’article 781-1 du Code de 
l’organisation judiciaire est également désormais considéré, dans la 
jurisprudence de la Cour, comme une voie de recours à épuiser avant d’introduire 
une requête devant la Cour. Il s’agit également d’un recours indemnitaire. La 
question qui est actuellement posée, par rapport à cette disposition, est celle 
de savoir si cette voie de recours interne s’applique uniquement aux affaires 
qui sont terminées dans l’ordre interne ou également à celles qui y sont 
pendantes ? Une requête devant la Grande chambre, Mifsud c/France, 
sera appelée à trancher la question. Certes, dans les deux pays, l’existence de 
voies de recours internes, de nature indemnitaire, n’est pas susceptible 
d’accélérer la procédure et oblige les justiciables à mener de front leur 
procédure principale et leur procédure en indemnisation. |