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Actes de la Septième Session d'information (arrêts rendus en 2000, Cahiers du CREDHO n° 7)

Sommaire...

Affaire Dulaurans | Affaire Annoni di Gussola et Desbordes et Omer | Débats

 

 

La Cour de cassation et le procès équitable

 

 

Le contrôle de l'irrecevabilité des moyens nouveaux

devant la Cour de cassation :

l'affaire Dulaurans (21 mars 2000)

par

 

Vincent Delaporte

Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation

 

 

1. L'affaire Dulaurans n'est pas la première dans laquelle la CEDH s'en prend à la Cour de cassation française, mais c'est probablement celle qui a été le plus mal accueillie par notre Haute Juridiction qui a estimé franchies les bornes du tolérable.

Essayons d'analyser l'affaire objectivement. Je voudrais dire aussi avec clarté et précision. Ce ne sera pas facile car dans cette affaire tout est approximatif : l'argumentation à géométrie variable de la requérante aux différents stades de la procédure, la réponse donnée par les juges du fond puis par la Cour de cassation, et enfin l'arrêt de la Cour européenne. On a l'impression d'assister à un jeu de miroirs déformants, à un dialogue de sourds entre la requérante, les juridictions françaises et la Cour européenne, nul ne comprenant ce que soutenaient exactement les autres. 

 

A l'origine, Mme Dulaurans a souhaité mettre en vente deux appartements qui lui appartenaient. Elle s'est adressée pour cela à un marchand de biens, M. Ben Naceur. Rappelons, pour les étudiants ici présents, que le marchand de biens achète et revend des immeubles en son propre nom et pour son propre compte et tire son bénéfice de la différence entre le prix d'achat et le prix de revente, alors que l'agent immobilier est un intermédiaire qui met en relation vendeurs et acheteurs et dont la rémunération consiste dans des honoraires appelés "commission" à la charge de la partie qui l'a mandaté. Par conséquent, quand M. Ben Naceur qui affiche la profession de marchand de biens, reçoit le pouvoir de vendre deux immeubles, il n'agit pas en tant que marchand de biens mais en tant qu'intermédiaire, chargé de trouver une personne intéressée par l'achat des immeubles de Mme Dulaurans, pour le prix demandé par celle-ci, qui était en l'espèce de 20 millions pour l'ensemble des deux immeubles. M. Ben Naceur trouva un acquéreur et Mme Dulaurans substitua à la procuration du 15 novembre 1991, qui semblait être globale pour les deux immeubles, deux nouvelles procurations en date du 25 novembre 1991 et qui portaient le prix à 20 millions de francs pour le premier immeuble et à 2 millions de francs pour le second immeuble. Fort de ces nouvelles procurations, M. Ben Naceur poursuivit les négociations avec l'acquéreur et un accord ferme semble être intervenu le 27 novembre 1991.

 

L'affaire n'en resta pas là car Mme Dulaurans avait de son côté cherché elle aussi un acquéreur et elle en avait trouvé un lui proposant un prix supérieur à celui qui était indiqué dans la procuration du 25 novembre.

Elle adressa donc une lettre recommandée à M. Ben Naceur pour lui notifier la révocation des mandats du 25 novembre.

A quoi M. Ben Naceur répondit qu'il avait déjà consenti deux promesses de vente qui engageaient bien évidemment sa mandante.

 

Il faut croire que l'offre présentée par l'acquéreur trouvé directement par Mme Dulaurans était bien alléchante car celle-ci a voulu se dégager des engagements pris en son nom par M. Ben Naceur. Pour faire renoncer les acquéreurs bénéficiaires des promesses de vente consenties par M. Ben Naceur, elle leur versa des indemnités de dédit : 900.000 francs à l'un et 350.000 francs à l'autre.

 

Il restait cependant à désintéresser M. Ben Naceur qui avait accompli son mandat : Mme Dulaurans passa donc avec lui une transaction dans laquelle elle s'engageait à lui verser une indemnité forfaitaire de 500.000 francs.

Indemnité qu'elle a refusé de payer et c'est ce qui a valu à la Cour de cassation d'être montrée du doigt par la Cour européenne.

 

2. Bien entendu, M. Ben Naceur a saisi les tribunaux pour contraindre Mme Dulaurans à payer cette indemnité transactionnelle de 500.000 francs. Pour s'opposer à ce paiement, Mme Dulaurans a fait valoir que le mandat donné à M. Ben Naceur était frappé de nullité en raison du non respect par ce dernier des conditions d'exercice de l'activité d'agent immobilier, résultant de la loi du 2 janvier 1970. Bien que les arrêts ne donnent pas de précision à ce sujet, on peut présumer que l'irrégularité de la situation de M. Ben Naceur tenait au défaut de délivrance de la carte professionnelle normalement délivrée par le préfet et dont doit justifier toute personne prêtant son concours "de manière habituelle" aux opérations portant sur les biens d'autrui (art. 1er et 3 de la loi). Selon la jurisprudence, deux mandats suffisent à caractériser la condition d'habitude exigée par la loi. Ainsi Mme Dulaurans soutenait qu'à défaut de carte professionnelle, M. Ben Naceur n'exerçait pas régulièrement la profession d'agent immobilier et ne pouvait avoir droit à aucune rémunération. Les procurations données étaient donc nulles et la transaction intervenue sur ces procurations nulles était elle-même nulle.

 

Mme Dulaurans invoquait également la nullité de la transaction pour dol et violence morale. Mais je laisse de côté cet aspect du litige qui n'a aucune incidence dans notre affaire, puisque ce moyen a été abandonné devant la Cour de cassation.

A ce stade de l'affaire, on voit déjà que la bonne foi et le respect de la parole donnée ne semblent pas du côté de Mme Dulaurans, qui n'a pas contesté la réalité du mandat de vente, puisqu'elle a réglé sans contestation un dédit aux deux acquéreurs trouvés par son mandataire. Et le moyen développé sur l'habitude à l'égard de M. Ben Naceur relève davantage de la chicane que du bon sens. Mme Dulaurans avait en effet d'abord donné à M. Ben Naceur le 15 octobre 1991 un seul mandat portant sur deux immeubles. Ce mandat unique ne caractérisait pas l'habitude ; mais il avait été remplacé par deux mandats, un pour chaque immeuble, le 25 novembre 1991. Et Mme Dulaurans prétendait déduire de cette division de pure forme la pluralité des mandats et par voie de conséquence l'habitude qui aurait rendu nul son engagement de payer 500.000 francs.

 

Sans doute agacé d'avoir à répondre à une telle argutie, le Tribunal de grande instance de Nanterre condamna Mme Dulaurans à payer à M. Ben Naceur la somme de 500.000 francs. Si l'on en croit l'arrêt de la Cour européenne, le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré par la requérante de la nullité de la transaction sur le fondement de la loi du 2 janvier 1970.

 

3. Pour ma part, je pense que la contestation de Mme Dulaurans était un pur artifice. D'abord parce qu'elle avait à l'origine donné un seul mandat, dont la division ultérieure en deux mandats différents pour chacun des immeubles ne caractérisait pas une habitude, d'autre part et surtout parce que M. Ben Naceur ne réclamait pas la rémunération prévue dans ses mandats mais celle qui avait été prévue par une transaction qui, au terme de l'article 2052 du Code civil, avait autorité de la chose jugée en dernier ressort entre les parties. Et c'était en vain que Mme Dulaurans prétendait que cette transaction était nulle pour avoir été passée en exécution d'un titre nul (art. 2054), car la prétendue ignorance de la nullité du titre ne pouvait résulter que d'une erreur de droit. Mme Dulaurans avait connaissance de tous les éléments de fait qui auraient pu justifier selon elle la nullité des mandats. Par conséquent, si, en connaissance de ces éléments de fait, elle ignorait la nullité des mandats, ce ne pouvait être que par une erreur de droit qui lui interdisait de demander la nullité de la transaction.

 

Mais ce n'est pas cela qui a été répondu à Mme Dulaurans.

 

4. Celle-ci a donc interjeté appel. Et devant la Cour, elle a affiné son argumentation en faisant allusion non plus aux seuls mandats des 15 octobre et 25 novembre 1991, mais également à d'autres interventions faites par M. Ben Naceur pour l'acquisition de divers biens immobiliers pour un montant total de 5 millions de francs (opération concrétisée par un acte du 14 octobre 1991).

 

Par conséquent, M. Ben Naceur serait également intervenu antérieurement, on ne sait trop sous quelque forme, dans le cadre d'une opération concrétisée par un acte du 14 octobre 1991. Ce dernier acte est-il l'acte de vente (entre vendeur et acquéreur) ou le mandat donné à M. Ben Naceur ? On n'en sait rien. Et même si l'on s'en tient à l'arrêt de la Cour, on ignore tout de la nature de l'intervention à laquelle font allusion les conclusions d'appel de Mme Dulaurans.

 

C'est en cet état que la Cour d'appel de Versailles a confirmé le jugement attaqué en affirmant de façon sans doute un peu lapidaire "qu'en sa qualité de marchand de biens ne se livrant pas d'une manière habituelle aux opérations visées à l'article 1er de la loi du 2 janvier 1970, M. Ben Naceur ne tombe pas sous le coup de cette loi".

 

5. Mme Dulaurans s'est pourvue en cassation. Elle reprochait à la cour d'appel d'avoir rejeté sa demande en nullité de la transaction par le motif que M. Ben Naceur en sa qualité de marchand de biens ne se livrait pas d'une manière habituelle aux opérations visées par la loi du 2 janvier 1970, " alors que ... les obligations (édictées par la loi du 2 janvier 1970) étant sanctionnées pénalement, l'élément d'habitude est constitué dès la première réitération de leur transgression ; qu'ainsi il importait peu que M. Ben Naceur eût exercé, fût-ce à titre principal, une autre activité de marchand de biens dès lors que la constatation de la pluralité de mandats relatifs à des opérations bien distinctes caractérisait l'accomplissement d'une manière habituelle d'opérations portant sur les biens d'autrui (violation des articles 2054 du Code civil et 1er et 7 de la loi du 2 janvier 1970)".

 

Rejet du pourvoi par le motif suivant :

 

" Mme Dulaurans qui initialement le 15 octobre 1991, avait consenti un pouvoir pour vendre les deux immeubles en stipulant un prix minimum de l'ensemble n'a pas soutenu dans ses conclusions que M. Ben Naceur, d'une manière habituelle, se livrait ou prêtait son concours aux opérations prévues par la loi du 2 janvier 1970 ; qu'elle n'est pas recevable à le faire pour la première fois devant la Cour de cassation".

 

6. Mme Dulaurans n'en est pas restée là et a donc saisi la Cour européenne qui, par un arrêt du 21 mars 2000, a censuré la France, et donc la Cour de cassation, par une motivation bien peu convaincante :

 

"La requérante n'a pas cessé, dès le début de la procédure litigieuse, de prétendre que son adversaire était soumis aux dispositions de la loi de 1970. Tant en première instance qu'en cassation, elle a clairement affirmé que le caractère habituel de la mission confiée à son adversaire résultait des deux mandats qui lui avaient été donnés le 25 novembre 1991 en vue de vendre deux immeubles. S'il est vrai que devant la cour d'appel, la requérante souligna que son adversaire était déjà intervenu auprès d'elle à l'occasion d'une précédente vente, sans se référer expressément aux deux mandats litigieux, la Cour estime néanmoins qu'on ne saurait parler en l'espèce de deux raisonnements distincts. En indiquant que son adversaire était déjà intervenu auprès d'elle, la requérante ne pouvait que faire allusion (sic) aux deux mandats à l'épicentre du litige, auxquels elle s'était déjà référée devant le tribunal de première instance et auxquels elle se référa par la suite devant la Cour de cassation ... » (arrêt, § 36).

 

Il reste à apprécier cette solution.

 

7. Préalablement, je voudrais mettre l'arrêt de la Cour à l'abri d'une des principales critiques qui lui ont été adressées, et sans doute la plus fondamentale, celle de s'être arrogée un pouvoir de contrôle sur le caractère de nouveauté d'un moyen retenu par la Cour de cassation. Selon certains, la Cour aurait commis là un véritable excès de pouvoir, car son rôle se limiterait à sanctionner la violation directe de la convention, mais non la violation indirecte qui résulterait d'une simple mauvaise appréciation des faits de la cause. Cette critique part de l'idée qu'il y aurait un partage des compétences ou du moins des pouvoirs entre les autorités nationales et la Cour européenne : lorsque la violation alléguée des droits définis par la convention consisterait dans une mauvaise application des règles du droit national, les autorités nationales seraient souveraines pour apprécier les éléments de fait dont dépendent ces règles nationales. Autrement dit, il y aurait, entre les autorités nationales, donc la Cour de cassation, et la Cour européenne un partage analogue à celui qui existe entre la Cour de cassation et les juges du fond. Ces derniers apprécient souverainement les éléments de fait et la Cour de cassation se borne à vérifier s'ils ont tiré les conséquences juridiques appropriées des éléments de fait qu'ils ont constatés. Ce serait la même chose entre la Cour de cassation et la Cour européenne. La Cour européenne aurait le pouvoir de dire abstraitement si l'irrecevabilité d'un moyen nouveau devant la Cour de cassation est contraire ou conforme aux exigences de l'article 6 § 1 de la convention ; et on sait qu'elle a reconnu la conformité de cette règle (CEDH, 29 août 2000, req. 40-490/98, Jahnke et Lenoble, JCP. 2000 II n° 10435, note Perdriau). Mais ce point étant acquis, la Cour de cassation serait souveraine pour décider si un moyen est ou non nouveau.

 

Cette thèse ne paraît pas admissible car, selon une formule constante de la Cour, la convention ne garantit pas des droits abstraits et théoriques, mais des droits effectifs et concrets. La Cour, à peine de rendre son contrôle de pure forme, ne peut donc s'en tenir à un contrôle abstrait et théorique des violations directes de la convention. Elle doit rechercher et elle recherche effectivement si, même en l'absence d'une violation ouverte de la convention, les autorités nationales n'ont pas dissimulé une violation indirecte et larvée sous une appréciation erronée des faits.

 

On ne peut donc pas reprocher à la Cour européenne, dans son arrêt du 21 mars 2000, de ne pas s'être arrêtée à l'affirmation de la Cour de cassation selon laquelle le moyen était nouveau et d'avoir recherché elle-même si tel était le cas.

On doit du reste signaler, à juste titre, que dans une précédente affaire qui n'avait pas suscité tant d'émoi, la Commission avait constaté la violation de l'article 6 § 1 par un arrêt de la Cour de cassation qui avait déclaré irrecevable un moyen comme contraire à l'argumentation soutenue devant les juges du fond, alors que c'était la même thèse qui avait été soutenue tant en appel que devant la Cour de cassation (aff. Fouquet, rapport de la commission, 12 oct. 1994, req. n° 20.398/92).

 

Cela étant, la Cour doit exercer ce contrôle avec prudence et modération, car un contrôle trop poussé conduirait à deux conséquences inadmissibles :

 

- D'une part, si la Cour voyait une violation de l'article 6 chaque fois qu'une règle de droit national a été mal appliquée à ses yeux, autant dire que le droit substantiel serait incorporé dans le droit au procès équitable. Le droit au procès équitable impliquerait non seulement le respect formel de la procédure, mais encore le respect des règles substantielles. L'article 6 § 1 absorberait non seulement la procédure, mais également la totalité du droit substantiel.

 

- Cette extension du domaine de l'article 6 entraînerait par voie de conséquence une extension du champ d'intervention de la Cour qui, par le biais du contrôle de l'article 6, serait transformée en cours de révision de l'ensemble des juridictions nationales.

 

Il est évidemment impossible d'aller jusque là et c'est pourquoi l'équilibre me paraît être dans la notion d'erreur manifeste d'appréciation. Pour que le procès soit équitable et non pas une simple parodie, le juge doit appliquer les règles de droit, et les juridictions nationales disposent d'une grande marge de manœuvre dans l'interprétation et l'application de leur droit national, sous la seule réserve d'erreur manifeste qui rendrait l'accès au juge illusoire.

 

Tels étant les principes, il me semble que dans la présente affaire Dulaurans, c'est la Cour européenne et non la Cour de cassation qui a commis une erreur manifeste.

 

La Cour en effet ignore purement et simplement une règle évidente et parfaitement connue de tous les praticiens, à tel point que nul ne peut être choqué de ce que la Cour de cassation ne la rappelle pas à l'occasion de chaque affaire ; en outre, elle oublie de définir la notion qui était à la base même de sa décision, c'est-à-dire la notion de moyen. 

 

8. La règle connue de tous les praticiens est énoncée expressément à l'article 954 du nouveau Code de procédure civile :

" Les conclusions doivent formuler expressément les prétentions de la partie et les moyens sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée ... la partie qui conclut à l'infirmation du jugement doit expressément énoncer les moyens qu'elle invoque sans pouvoir procéder par voie de référence à ses conclusions de première instance ...".

 

Personne ne pourrait se déclarer choqué d'une telle règle qui n'est que l'expression du bon sens : c'est aux parties qu'il incombe d'indiquer aux juges ce qu'elles demandent et pourquoi elles le demandent, et l'interdiction de se référer aux écritures de première instance est strictement conforme à l'analyse de l'appel comme voie d'achèvement : puisque l'appel permet d'achever le procès, il est logique d'imposer à l'appelant de repenser et de reconstruire son argumentation pour tenir compte des objections qui lui ont été faites par les premiers juges.

 

Par voie de conséquence, la nouveauté d'un moyen, devant la Cour de cassation, s'apprécie exclusivement par référence aux conclusions d'appel. Puisque la cour d'appel n'a pas à se référer aux conclusions de première instance qui sont réputées abandonnées, la Cour de cassation ne peut pas elle non plus apprécier la recevabilité du moyen par référence à ces conclusions.

 

Un plaideur est assez mal venu de reprocher au juge de n'avoir pas répondu à des conclusions dont il ne l'avait pas saisi.

La Cour ne pouvait donc apprécier la nouveauté du moyen soutenu devant la Cour de cassation en se référant aux conclusions de première instance.

 

9. Ensuite, la Cour européenne aurait pu s'arrêter quelques instants à la définition du moyen. Cette notion s'applique au raisonnement qui justifie la prétention d'un plaideur. Un moyen comporte donc :

 

- l'énoncé d'une règle de droit ;

- l'énoncé des faits pertinents au regard de cette règle de droit ;

- les conséquences que la règle de droit attache aux faits ainsi énoncés.

Ces trois éléments doivent être présentés ensemble et dans un raisonnement construit. Le degré de précision de chaque élément varie selon les circonstances. Ainsi, lorsque la règle de droit consiste dans la force obligatoire du contrat, il n'est pas besoin d'en faire un exposé abstrait ; il suffit de rappeler le contrat et les conséquences que la partie y attache. Quant aux éléments de fait pertinents, ils doivent être énoncés de manière suffisamment précise et dans tous les cas ils doivent être assortis d'une offre de preuve. L'allégation de faits vagues, imprécis, non prouvés, ne permet pas au juge de procéder à la qualification au regard de la règle de droit invoquée.

 

En l'espèce, les conclusions de Mme Dulaurans devant la cour d'appel, telles du moins qu'elles sont rappelées par l'arrêt de la Cour européenne, étaient totalement inconsistantes. Sans doute, Mme Dulaurans avait-elle bien invoqué la nullité des mandats en application de la loi du 2 juillet 1970, en raison de ce que son adversaire se livrait à des opérations d'intermédiaire d'une manière habituelle, et l'on peut regretter que la Cour de cassation ait déclaré le contraire un peu brusquement.

 

Cela étant, l'arrêt de la Cour de cassation peut se comprendre sans grand effort : les conclusions d'appel de Mme Dulaurans invoquaient bien l'habitude, mais sans préciser en quoi cette habitude était caractérisée.

 

La Cour européenne reconnaît elle-même que "devant la cour d'appel, la requérante soulignait que son adversaire était déjà intervenu auprès d'elle à l'occasion d'une précédente vente, sans se référer expressément aux deux mandats litigieux". Autrement dit, Mme Dulaurans invoquait l'habitude mais ne visait qu'un seul mandat ; et encore, il faut être indulgent pour dire qu'elle invoquait un mandat puisqu'elle se bornait à dire que M. Ben Naceur était intervenu précédemment, sans même préciser la forme, les modalités et la nature de cette intervention. On ne sait donc rien sur le rôle joué par M. Ben Naceur dans une précédente transaction. Cela ne pouvait en aucune façon caractériser l'habitude.

 

Pour le surplus, les deux mandats à la base du litige, du 25 novembre 1991, ne faisaient l'objet que d'une allusion, comme le déclare la Cour européenne elle-même (§ 36). Une allusion ne constitue pas un moyen. Les exigences du procès équitable n'obligent pas le juge à répondre à des allégations vagues et imprécises exprimées en termes allusifs.

 

Mais, l'arrêt Dulaurans paraît sans lendemain.

 

10. Dans son arrêt déjà cité du 29 août 2000, la Cour européenne a rejeté un grief identique à celui de l'affaire Dulaurans en se référant à une définition plus exacte de la notion de moyen.

 

Elle a rappelé que l'irrecevabilité d'un moyen nouveau devant la Cour de cassation n'était pas contraire au droit à un procès équitable, ce dont personne n'a jamais douté. Mais surtout, la Cour européenne se réfère à une notion stricte de moyen pour conclure que la Cour de cassation n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en retenant la nouveauté. La Cour tient également à souligner "que pour l'accomplissement de leur tâche, les tribunaux doivent obtenir la coopération des parties qui, dans la mesure du possible, sont tenues d'exposer leurs prétentions de manière claire, non ambiguë et raisonnablement structurée".

 

On peut considérer dans ces conditions l'arrêt Dulaurans comme un accident corrigé par l'arrêt du 29 août 2000.

 

11. Pour terminer, je voudrais signaler une jurisprudence qui, si elle est prise à la lettre, devrait mettre les juridictions nationales, de première instance, d'appel ou de cassation à l'abri de toute critique de la Cour européenne. Vous savez en effet que les arrêts de la Cour de cassation comportent trois types de motivation, la motivation normale qui est celle des arrêts généralement publiés, la motivation abrégée qui répond de façon brève et précise aux griefs du pourvoi, et enfin la motivation excessivement brève ou "tampon", qui rejette le pourvoi par une formule stéréotypée sans la moindre référence concrète à l'argumentation du demandeur. Cette formule est la suivante :

 

" Attendu que le pourvoi en cassation est une voie extraordinaire de recours qui, selon l'article 604 du nouveau Code de procédure civile, tend à faire censurer par la Cour de cassation la non conformité de la décision qu'il attaque aux règles de droit ;

" Attendu que M. X a formé un pourvoi en cassation contre l'arrêt qui l'a débouté de sa demande tendant à ...

" Attendu que la cour d'appel, qui a souverainement apprécié les éléments de fait du litige, a tranché celui-ci conformément aux règles de droit qui lui sont applicables ; d'où il suit que les moyens ne peuvent être accueillis".

 

Une partie dont le pourvoi avait été rejeté par une telle formule a saisi la Cour européenne en invoquant l'article 6 § 1 de la convention, en raison de ce que l'arrêt ne répondait pas aux moyens présentés devant elle. La Cour européenne a déclaré la requête irrecevable par une motivation encore plus brève, s'il est possible. Cette motivation est ainsi formulée :

 

" La Cour rappelle que si l'article 6 § 1 oblige les juges à motiver leurs décisions, cette obligation ne peut se comprendre comme exigeant une réponse détaillée à chaque argument" (voir notamment l'arrêt Garcia Ruiz c/ Espagne du 21 janvier 1999 ...). Elle constate que l'arrêt litigieux fait référence aux quatre moyens développés par la requérante, lesquels y sont de surcroît annexés. Elle relève par ailleurs qu'il ressort clairement de l'arrêt que lesdits moyens ont été rejetés au motif qu'ils soulevaient des questions de fait et non de droit et que la Cour de cassation ne pouvait donc en connaître. Partant la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 § 3 et 4 de la convention" (CEDH, 20 juin 2000, req. n° 47.592/99, Nisse).

 

Autrement dit, un arrêt est suffisamment motivé par le simple visa (sans résumé) des moyens, leur agrafage en annexe de l'arrêt et la déclaration qu'ils sont mal fondés. Si, dans l'affaire Dulaurans, la Cour de cassation s'en était tenue à la formule tampon précitée, sans faire aucun effort de motivation, elle se serait mise à l'abri de tout risque de censure. C'est dire que la jurisprudence de la Cour européenne quant au degré de motivation exigé des juridictions nationales n'est pas toujours d'une parfaite lisibilité.

 

 

 


 

 

La Cour de cassation et le procès équitable

 

 

Le retrait du rôle et l’accès effectif à la Haute Juridiction :

l’affaire Annoni di Gussola et Desbordes et Omer

(14 novembre 2000)

 

par

 

Michèle Dubrocard

Sous-directrice des droits de l’Homme

à la Direction des affaires juridiques

du ministère des Affaires étrangères

 

 

 

 

Les affaires Annoni di Gussola d'une part et Desbordes et Omer d'autre part ont donné à la Cour européenne des droits de l'Homme une nouvelle occasion de connaître des modalités d'examen des pourvois par la Cour de cassation en matière civile. Cette fois-ci toutefois, à la différence de l'affaire Dulaurans, ce n'est plus le droit des requérants à un procès équitable qui était en cause mais, de façon encore plus radicale, leur droit d'accès à la juridiction suprême.

 

Les faits à l'origine des deux affaires, qui ont été jugées dans un seul arrêt, sont simples. Dans les deux cas, l'objet du litige concernait l'achat à crédit, par les requérants, d'un véhicule. Mais au bout de quelques mois, ils ne parvenaient plus à s'acquitter de leurs échéances, et l'établissement financier qui avait accordé le crédit s'est prévalu de la déchéance du terme conformément à la clause résolutoire stipulée au contrat de prêt. C'est dans ce cadre qu'il a été procédé à la vente aux enchères publiques des véhicules, non pas à l'initiative des requérants, mais à celle de leur créancier, qui a ensuite demandé en justice le remboursement du capital restant dû, ainsi que les intérêts non réglés, cette somme devant elle-même produire des intérêts au taux contractuel.

 

Les requérants ont été condamnés en appel. M. Annoni di Gussola a été condamné par la cour d'appel de Lyon le 31 mai 1995 à payer à la banque 90 371 francs avec intérêts au taux conventionnel depuis le mois de février 1992, ainsi que la somme de 3000 francs au titre de l'indemnité légale. Les époux Desbordes et Omer ont été quant à eux condamnés par la cour d'appel d'Amiens, le 11 octobre 1994, à payer 38669 francs avec intérêts à compter du 20 septembre 1993.

 

Les requérants ont alors formé un pourvoi en cassation contre les décisions les concernant. Mais, dans ces deux affaires, le premier président de la Cour de cassation a fait application des dispositions de l'article 1009-1 du Nouveau Code de procédure civile. Il a donc, à la demande des défendeurs, retiré du rôle de la Cour de cassation les pourvois formés par M. Annoni di Gussola et les époux Desbordes et Omer, après avoir constaté que ceux-ci n'avaient pas justifié avoir exécuté les décisions attaquées.

 

La Cour européenne a ainsi été conduite, à l'occasion de l'examen de ces deux affaires, à se prononcer sur la conformité du mécanisme prévu par l'article 1009-1 du Nouveau Code de procédure civile aux exigences résultant de l'article 6 de la Convention.

 

Cette question, à vrai dire, avait déjà été examinée par la Commission européenne des droits de l'Homme, qui avait alors conclu à la compatibilité du mécanisme avec les dispositions pertinentes de la Convention (voir M. c/ France, décision du 9 janvier 1995, D.R. 80-A, p.56, et Marc Venot, rapport du 21 avril 1999).

 

- La première constatation à laquelle cet arrêt invite est la confirmation de  la compatibilité du système avec les dispositions de la Convention. La Cour a en effet estimé que "les buts poursuivis par cette obligation d'exécution d'une décision, notamment assurer la protection du créancier, éviter les pourvois dilatoires, renforcer l'autorité des juges du fond, désengorger le rôle de la Cour de cassation" étaient "légitimes"(voir par.50 de l'arrêt).

 

Sur ce point, les juges n'ont donc pas suivi les requérants, qui soutenaient que le système du retrait du rôle était condamnable dans son principe même.

 

Il convient toutefois d'observer que la Cour saisit cette occasion pour rappeler la nécessité pour la juridiction suprême de réfléchir aux moyens d'accélérer le traitement des procédures : la Cour "note en effet qu'un tel système peut permettre, provisoirement de réduire l'encombrement du rôle de la haute juridiction, en attendant que les pourvois en cassation soient examinés dans des délais conformes à l'exigence du "délai raisonnable" garanti par l'article 6 par.1 de la Convention".

 

La Cour semble également manifester quelques réserves, de façon assez étrange, sur le fait que seul le défendeur au pourvoi a la possibilité de solliciter le retrait du pourvoi du rôle, et elle évoque à ce titre, au paragraphe 52 de l'arrêt, "le risque d'une certaine "privatisation" de la justice". En d'autres termes, la Cour paraît regretter que le premier président de la Cour de cassation ne puisse pas ordonner d'office le retrait du rôle de la Cour des pourvois formés par des demandeurs n'ayant pas exécuté la décision attaquée. Or si une telle faculté lui était ouverte, le nombre de retraits prononcés chaque année pourrait être sensiblement plus important et la question de l'accès à la Cour de cassation en matière civile se poserait avec encore plus d'acuité.

 

Une fois confirmée la compatibilité du mécanisme, dans son principe, avec les dispositions de la Convention, la Cour s'est ensuite attachée à examiner si, en l'espèce, les décisions de radiation des pourvois des requérants n'avaient pas eu pour conséquence d'entraver de façon excessive leur droit d'accès à la Cour de cassation.

 

Il apparaît donc, et il s'agit là de la deuxième constatation qu'il convient de retenir, que la Cour se livre à un examen au cas par cas du caractère proportionné des mesures de radiation du rôle au regard des buts visés.

 

Dans le cas de M. Annoni di Gussola, comme dans celui des époux Desbordes et Omer, la Cour européenne a conclu à la violation de l'article 6 de la Convention. Elle a en effet considéré que "la disproportion entre les situations matérielles respectives des requérants et les sommes dues au titre des décisions frappées de pourvoi ressort à l'évidence" (par. 55 de l'arrêt). Pour en juger ainsi, la Cour a rappelé que M. Annoni di Gussola percevait le revenu minimum d'insertion (RMI) et que les ressources des époux Desbordes et Omer étaient inexistantes, ainsi que l'avait d'ailleurs constaté la décision du bureau d'aide juridictionnelle. Ces situations précaires auraient dû, selon la Cour, "constituer une sorte de présomption simple" des conséquences manifestement excessives que l'exécution des arrêts d'appel leur aurait causé (par. 55).

 

Ce constat de la Cour doit toutefois être confronté aux circonstances de l'espèce : ainsi que la Cour l'a elle-même relevé dans sa présentation des arguments du Gouvernement français, les requérants n'avaient pas porté à la connaissance du premier président l'ensemble des éléments permettant d'apprécier avec exactitude leur situation financière (par. 47 de l'arrêt, p. 12). En outre, les sommes qu'ils étaient initialement condamnés à payer n'étaient pas d'un montant excessif (respectivement 38669 francs s'agissant des époux Desbordes et Omer, et 90371 francs s'agissant de M. Annoni di Gussola).

 

Mais la Cour a attaché une grande importance à l'absence de motivation spécifique et le caractère identique des deux ordonnances de retrait du premier président. A n'en pas douter, ces éléments ont joué un rôle décisif dans l'appréciation portée par la Cour sur les deux affaires (par.57 de l'arrêt).

 

La Cour a également retenu, dans le cadre de l'examen de la requête présentée par les époux Desbordes et Omer, le caractère défendable de leur pourvoi, compte tenu du fait qu'ils avaient bénéficié de l'aide juridictionnelle. Toutefois, elle exprime clairement le caractère surabondant en l'espèce de ce critère, "l'absence d'exécution possible des décisions attaquées et d'examen des "conséquences manifestement excessives" lui paraissant suffisantes".

 

Enfin, la Cour a tenu à saluer la réforme introduite par le décret du 26 février 1999, qui prévoit que la décision de retrait du rôle est prise après "observations" des parties et non plus un simple "avis" de leur part ; cette modification du texte, relève bizarrement la Cour, "semble aller dans le sens d'une plus grande prise en considération des intérêts de celles-ci" (par. 57).

 

A la lecture de cet arrêt, il apparaît donc que la Cour européenne des droits de l'Homme a choisi de ne pas remettre en cause le principe même du mécanisme institué par l'article 1009-1 du Nouveau Code de procédure civile, mais qu'elle vérifie au cas par cas si son application n'a pas entraîné des conséquences excessives sur le droit d'accès du demandeur à la Cour de cassation.

 

Depuis l'arrêt Annoni di Gussola et Desbordes et Omer, la Cour a rendu plusieurs décisions concernant toutes l'application de l'article 1009-1 du Nouveau Code de procédure civile.

 

C'est ainsi que le 5 décembre dernier, elle a déclaré irrecevable une requête présentée par M. Arvanitakis, qui avait pourtant été condamné à payer une somme très importante, d'un montant de 1.600 000 francs. En l'occurrence, la Cour a notamment relevé que le requérant n'avait "produit aucun certificat attestant de ses revenus", et que les biens immobiliers lui appartenant, même grevés d'hypothèques, semblaient "avoir une valeur vénale non négligeable".

 

Compte tenu de ces éléments, la Cour a partagé l'avis du Gouvernement selon lequel "le requérant aurait pu faire une offre de paiement partiel, pour manifester sa bonne volonté et obtenir la réinscription de son affaire au rôle" (décision adoptée à l'unanimité).

 

En revanche, dans une décision rendue le même jour, la Cour a déclaré recevable la requête de M. Jean-Claude Mortier, qui aurait dû s'acquitter du paiement de la somme de 600 000 francs, et qui avait effectué un paiement partiel à hauteur de 100 000 francs.

 

Enfin, tout récemment, le 9 janvier 2001 très exactement, la Cour a rendu une nouvelle décision d'irrecevabilité sur une requête présentée par M. O'Neil. Celui-ci se plaignait du retrait du rôle de la Cour de cassation des deux pourvois qu'il avait formés, l'un contre un arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 29 juin 1994 et l'autre contre un arrêt de la cour d'appel de Paris du 23 novembre 1994. En exécution de ces deux arrêts, il avait été condamné à payer des sommes d'un montant très important, puisqu'il devait s'acquitter d'une part du paiement de 10 millions de francs, d'autre part de celui de 1 300 000 francs.

 

Or, dans cette affaire, tout en reconnaissant le montant "indéniablement élevé des condamnations infligées au requérant", la Cour a cependant estimé que celles-ci ne le dispensaient pas "de manifester sa volonté d'exécution pour obtenir la réinscription de ses pourvois au rôle de la Cour de cassation". Il convient en outre de noter que la Cour a pris soin de distinguer cette affaire de celles qui ont donné lieu à l'arrêt qui nous occupe aujourd'hui, en relevant que les décisions du premier président de la Cour de cassation étaient intervenues "à la suite d'un examen attentif et complet de la situation du requérant".

 

 

Conclusion

 

Si l'on ne peut que se réjouir de la position de la Cour quant à la compatibilité des dispositions de l'article 1009-1 du nouveau Code de procédure civile avec la Convention européenne des droits de l'Homme, il est cependant à craindre que son choix d'examiner chaque affaire en se livrant à un examen systématique des circonstances de l'espèce ne suscite un afflux de requêtes sur ce point, et ne la conduise parfois à des erreurs d'appréciation, en particulier dans l'hypothèse où les motivations des ordonnances de retrait ne lui paraîtraient pas suffisamment explicites.

 

A cet égard, il n'est pas indifférent de mentionner que le greffe de la Cour a communiqué en l'espace d'un mois quatre nouvelles requêtes concernant toutes des décisions de radiation des pourvois des requérants du rôle de la Cour de cassation (requêtes de Mme Fabienne Bayle, M. Jean-Baptiste Pages, de la société SFIC et de M. Carabasse). 

 

A l'heure où la Cour européenne s'interroge sur les moyens de réduire le nombre de requêtes relatives aux durées de procédure, qui constituent un véritable contentieux de masse, il ne faudrait pas qu'elle suscite de nouveaux contentieux de nature purement procédurale et nécessitant également un examen des circonstances propres à chaque espèce.

 

 


 

 

Débats

 

 

 

Michèle DUBROCARD

 

La question qu’on peut se poser est : pourquoi le gouvernement français dans l’arrêt Dulaurans n’a pas demandé la saisine de la Grande Chambre. Il ne pouvait pas le faire car on était sous l’empire de l’ancienne procédure et donc l’arrêt a été définitif, malheureusement pour nous.

 

Michele DE SALVIA

 

Les arrêts Dulaurans et Annoni di Gussola et Desbordes qui ont été adoptés à l’unanimité, s’inscrivent dans un cadre un peu spécial car le premier (Dulaurans) en fait vise l’obligation de motivation, c’est un droit d’origine jurisprudentielle et également le droit d’accès au tribunal qui est aussi un droit de dérivation jurisprudentielle : la Cour dit très bien qu’il n’est pas absolu, mais qu’il peut souffrir certaines limitations. A travers ces deux arrêts, il faut relever aussi que la Cour est tiraillée : il faut rendre justice et une justice qui est individuelle parce que le système le veut ainsi. La Cour ne peut pas rendre des décisions dans l’abstrait, mais doit examiner seulement le fait concret. D’un autre côté, elle est liée aussi par sa jurisprudence qui constitue une incitation pour les Etats à simplifier le système judiciaire. La Cour dit clairement : l’article 6 de la Convention n’oblige pas les Etats à instituer des Cours d’appel ou de cassation, toutefois, si de telles juridictions sont instituées, la procédure qui s’y déroule doit présenter les garanties prévues à l’article 6. C’est un appel du pied aux Etats, la Cour l’avait déjà fait en matière de durée excessive de la procédure dans une affaire allemande il y a quinze ans : simplifier où cela est possible, sans toucher bien sûr à la substance du droit ; simplifier le système judiciaire et les choses pourront aller mieux.

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