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La Convention européenne des droits de l’Homme et le droit privé

 

 

L’affaire Mazurek

ou les conséquences incertaines d'un arrêt mal fondé

 (1er février 2000)

 

par

 

Dominique Fenouillet-Laszlo

Professeur à l’Université de Paris XI

 

 

 

 

Une femme décède, laissant deux fils. Le premier, né hors mariage, a été légitimé par le mariage de sa mère un an après sa naissance ; le second, né au cours de ce même mariage, n'a été inscrit à l'état civil que sous le nom de jeune fille de sa mère sans indication du mari de cette dernière ; conformément au droit de la filiation, la légitimation par mariage confère donc au premier les mêmes droits qu'à un enfant légitime alors que le second, n'étant pas couvert par la présomption de paternité légitime en raison des mentions portées sur son acte de naissance, n'est doté que d'une filiation maternelle adultérine.

 

Il en résulte donc un concours successoral entre un enfant légitimé et un enfant adultérin, situation envisagée par l'article 760 du Code civil qui dispose : "Les enfants naturels dont le père ou la mère étaient, au temps de leur conception, engagés dans les liens d'un mariage d'où sont issus des enfants légitimes, sont appelés à la succession de leur auteur en concours avec ces enfants ; mais chacun d'eux ne recevra que la moitié de la part à laquelle il aurait eu droit si tous les enfants du défunt, y compris lui-même, eussent été légitimes (al. 1er). La fraction dont sa part héréditaire est ainsi diminuée accroîtra aux seuls enfants issus du mariage auquel l'adultère a porté atteinte ; elle se divisera entre eux à proportion de leurs parts héréditaires (al. 2)."

 

Le Tribunal de grande instance et la Cour d'appel[1] ayant procédé à une dévolution inégalitaire de la succession par application de ce texte, l'enfant adultérin saisit la Cour de cassation. Mais son pourvoi fut rejeté par un arrêt de la première Chambre civile en date du 25 juin 1996[2]. Celle-ci considéra en premier lieu que la Convention de New York ne bénéficiait qu'aux "enfants"[3] et ne permettait donc pas d'écarter une règle relative au statut successoral d'un adulte. Elle estima en second lieu qu'il n'était pas possible de faire application de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme puisque ce texte  ne visait qu'à garantir l'égalité dans les droits et libertés reconnus par ladite Convention et que la vocation successorale était étrangère au respect de la vie privée et familiale protégé par l'article 8. Ayant épuisé les voies de recours interne, l'enfant adultérin saisit la Cour européenne des droits de l'Homme.

 

Tels sont les faits qui ont conduit la Cour à condamner la France, le 1er février 2000, à réparer le dommage subi par M. Mazurek[4]. L'analyse de l'arrêt sera conduite en premier lieu dans l'ordre européen. Elle conduira à une appréciation mitigée : la Cour européenne doit être approuvée pour la solution qu'elle retient, mais critiquée pour la voie empruntée (I.). Il conviendra en second lieu de s'interroger sur l'avenir du principe d'égalité en droit familial interne (II).

 

 

I • La condamnation de l'inégalité successorale française de l'enfant adultérin par la Cour européenne

 

Pour condamner la France, la Cour s'est fondée sur l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 combiné avec l'article 14 de la CEDH. Elle a considéré qu'il n'existait pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre la vocation successorale amoindrie infligée à l'enfant adultérin et le but poursuivi par la France, à savoir la protection du mariage, des devoirs en résultant, et des intérêts moraux.

 

Alors que la doctrine doutait de la question de savoir si "hériter est vraiment un droit de l'Homme"[5], la Cour européenne répond donc par l'affirmative.

 

Si le fondement retenu est regrettable (A), la solution finale doit en revanche être approuvée (B).

 

A. Le choix discutable de la norme de référence

 

L'article 14 de la CEDH a ici été associé à l'article 1er du Protocole additionnel n°1, en vertu duquel "toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international". C'est donc l'égalité dans le droit au respect des biens qui fonde la solution, solution retenue, il faut le noter, à l'unanimité. Et ce fondement a été justement critiqué, comme discutable techniquement (1°) et comme réducteur notionnellement. Il eut été incontestablement préférable de fonder le raisonnement sur le droit au respect de la vie privée et familiale (2°).

 

1°) Une application discutable du droit au respect des biens

 

La Cour a été critiquée pour avoir procédé à une "interprétation extensive et à vrai dire déformante" de l'article 1er du Protocole additionnel n°1[6].

 

La Cour reproche à la loi successorale française de priver l'enfant de "sa" propriété en ne lui reconnaissant qu'une vocation successorale limitée. Elle reprend la même analyse que dans l'affaire Inze du 28 octobre 1987. Mais cette analyse est contestable : la propriété découle de la vocation successorale et ne lui préexiste pas ; limiter la vocation revient donc à restreindre ab ovo la propriété et non pas à priver une personne de "sa" propriété[7].

 

La Cour croit pouvoir écarter la critique en se fondant sur le fait que la succession est d'ores et déjà ouverte. Mais cet élément ne change rien à l'affaire dans la mesure où, dès la mort de la défunte, les deux demi-frères sont devenus propriétaires indivis des biens mais dans la limite de leur vocation successorale, et donc à concurrence de 3/4 du patrimoine pour l'enfant légitimé et de 1/4 pour l'enfant adultérin.

 

Reste alors à invoquer l'existence, en droit européen, de notions autonomes et à remarquer que l'article 1er vise sans doute le droit de propriété mais qu'il protège, plus largement, le droit au respect des "biens". Ce qui explique qu'un créancier ait pu bénéficier de cette protection européenne, alors pourtant que la doctrine ne s'accorde pas à analyser son droit comme un droit de propriété[8]. Cette autonomie des notions suffit-elle à sauver la mise en œuvre de ce texte à la vocation successorale au plan technique ? La question renvoie au concept de vocation successorale, dont on se souvient que la doctrine classique des conflits de lois dans le temps l'analyse, avant ouverture de la succession, comme une simple expectative. A supposer cette analyse retenue, on mesure sans peine à quel point l'application de la notion de "bien" à une telle prérogative conduit à étendre le champ d'application de la protection européenne des droits de l'Homme.

 

En outre, la doctrine[9] a critiqué la Cour pour avoir statué sur un fondement patrimonial, jugeant qu'elle disqualifiait alors les droits de l'Homme. La critique, si elle doit être tempérée (il ne faudrait pas oublier que le premier droit de l'Homme français a tout de même été le droit de propriété inaliénable et sacré…), est exacte : il eut été préférable, en l'espèce, de reprocher au droit français la violation du droit au respect de la vie privée et familiale. Le regret technique se double alors d'un regret au plan symbolique.

2°) La dérobade regrettable à l'égard du droit au respect de la vie privée et familiale

 

Le plaignant se fondait sur l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, ce texte célèbre qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale. La Cour de cassation avait écarté ce texte en jugeant que la vocation successorale est étrangère au droit au respect de la vie privée, ce que certains auteurs avaient jugé "raisonnable"[10]. La Cour européenne n'a procédé à aucune exclusion : elle s'est contentée de juger qu'elle "n'estim(ait) pas nécessaire" d'envisager cette qualification puisque l'article 1er du Protocole additionnel suffisait à condamner la loi française, et ce à 5 voix seulement contre 2. Ce silence décidé à la seule majorité, qui manifeste un certain embarras, a été regretté par la doctrine[11]. Il eut été symboliquement préférable et pratiquement plus conforme à la sécurité juridique de condamner la France sur le fondement de l'article 8. Mais était-ce possible ?

 

Que recouvrent les notions de vie privée et de vie familiale ?

 

La première concerne la personne, dans son corps et son esprit, isolément ou dans ses relations extra-patrimoniales avec les autres ; elle confère à son titulaire une double prérogative, le secret (cela ne vous regarde pas) et l'autonomie (je fais ce que je veux).

 

La seconde concerne la personne dans ses relations familiales. Strictement entendue, elle ne confère à chacun que l'autonomie du choix du mode de vie familial et, corollaire de l'autonomie, le droit de garder secret ce choix. Plus largement entendue, elle intègre la liberté de faire établir un lien familial (de couple ou de filiation) et de jouir des effets attachés à ce lien.

 

Quid, alors, de la vocation successorale liée à la filiation et, plus généralement, au lien familial ?

 

Relève-t-elle de la vie privée ? Il nous semble, contrairement à la Cour de cassation, qu'il n'était pas impossible de considérer que la question successorale relevait de la vie privée. Il faut écarter l'argument tenant seulement à la nature patrimoniale de la vocation successorale. Il est exact que la protection du patrimoine ne relève pas en elle-même de la notion de vie privée[12]. Cela ne veut pas dire que la protection de la vie privée de la personne soit cantonnée à son activité extra-patrimoniale et écartée dans le cadre patrimonial : chacun connaît la célèbre jurisprudence invalidant les clauses de contrat de travail limitant la liberté de la vie privée ou familiale du salarié. Une personne peut donc fort bien profiter de la protection attachée à la vie privée et familiale alors qu'elle se borne à agir dans le cadre patrimonial. Or n'est-ce pas contrevenir à l'intimité de la vie privée que de prendre en compte les circonstances de la naissance d'une personne pour déterminer sa vocation successorale ? La nature du lien de filiation, élément de l'état civil soumis à publicité, ne suffit pas à écarter la solution alors qu'il en est de même du sexe et que chacun connaît la solution retenue en matière de transsexualisme, solution qui distingue heureusement la publicité des éléments de l'état civil et la liberté de vivre personnellement sans être inquiété.

 

La vocation successorale relève-t-elle de la vie familiale ? Si l'on définit le droit à la vie familiale strictement, la réponse est négative : les sanctions successorales infligées à l'enfant adultérin ne portent pas atteinte à la liberté qu'il a de choisir son mode de vie familial, dans la mesure où un enfant ne choisit jamais les circonstances dans lesquelles il naît. La conclusion est différente si l'on retient une définition large de la notion de vie familiale. La vocation successorale est un effet du lien de famille, ici du lien de filiation ; elle relève donc bien de la vie familiale largement entendue comme intégrant établissement du lien et effets du lien. Partant, en conférant à l'enfant adultérin, dans la succession de son auteur adultère, des droits différents de ceux octroyés à l'enfant légitime dans la succession de son auteur légitime, la loi attente à l'égalité dans la jouissance du droit au respect à la vie familiale.

 

On peut d'autant plus regretter la timidité de la Cour : 1) qu'elle contraste avec l'audace dont elle a parfois fait preuve dans la définition de la liberté de la vie privée ou de la vie familiale ; 2) qu'elle contraste avec le raisonnement adopté dans la célèbre affaire Marckx, le 13 juin 1979 ou encore dans l'affaire Vermeire du 29 novembre 1991[13] ; 3) qu'elle contraste avec l'affirmation, par l'arrêt Mazurek lui-même, de l'importance contemporaine du principe d'égalité en Europe et de la nécessité d'une interprétation dynamique de la Convention européenne, cet "instrument vivant à interpréter à la lumière des conditions actuelles" ; 4) qu'elle aurait pu suivre l'exemple donné, en la matière, par la commission Dékeuwer-Défossez, qui avait justement préféré opter pour affirmer "de manière à la fois plus abstraite et plus forte, l'identité des droits attachés au lien de filiation" (§ 22 in fine).

 

L'esprit de la CEDH invitait, nous semble-t-il à se fonder sur la notion de statut familial, patrimonial ou personnel[14]. Cet arrêt montre, une nouvelle fois, l'urgence qu'il y a à réfléchir, conceptuellement et non plus pragmatiquement, sur la notion de vie privée et familiale.

 

B. La condamnation inéluctable du  droit interne

 

La solution retenue nous semble en revanche tout à fait pertinente dans sa conclusion, même si elle eut gagné à être mieux motivée. Plutôt que de condamner sur le terrain du défaut de proportionnalité entre la fin poursuivie et le moyen retenu (1°), la Cour eut sans doute été mieux inspirée de condamner pour défaut d'adéquation entre le moyen choisi et la fin poursuivie (2°).

 

1°) Le raisonnement retenu : le défaut de proportionnalité entre la fin et le moyen

La Cour recherche d'une part si l'inégalité de traitement dans le droit au respect des biens dont pâtit l'enfant adultérin poursuit un but légitime et d'autre part s'il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre la fin poursuivie et le moyen retenu. Et la conclusion négative à laquelle elle parvient est fondée non seulement sur des considérations générales (a), mais aussi sur les circonstances spécifiques du cas (b), ce qui, évidemment, limite de façon regrettable la portée de la solution retenue.

 

a) La Cour conclut au défaut de proportionnalité entre la fin et les moyens en se fondant sur deux considérations générales

 

1) L'évolution générale de la famille

 

La Cour note qu'"il ne peut être exclu que le but invoqué par le gouvernement (qui affirmait vouloir préserver la famille légitime, les devoirs issus du mariage) puisse être considéré comme légitime"… (§ 50). La formule frappe par son peu d'enthousiasme lorsqu'on la compare à l'affirmation contenue dans l'arrêt Marckx et selon laquelle "il est en soi légitime voire méritoire de soutenir et d'encourager la famille traditionnelle". La force éventuelle de la famille légitime, en termes de natalité et surtout de stabilité, est donc relativisée, à tort à notre sens[15], par la Cour.

 

Elle insiste sur le développement en fait des autres modes de vie familiaux et note l'évolution tant juridique[16] que sociologique[17] de la famille : "l'institution de la famille n'est pas figée" (§ 52).

 

2) L'innocence de l'enfant

 

Surtout, la Cour retient que "en tout état de cause", l'enfant adultérin est innocent et "ne saurait se voir reprocher des faits qui ne lui sont pas imputables" (§ 54). Cet argument, classique, est important car il donne à l'appréciation portée par la Cour un soutien incontestable. Il est en effet impossible de nier la non-culpabilité de l'enfant dans la commission d'un adultère par ses auteurs. Un tel argument limite d'ailleurs la portée de l'arrêt : il interdit notamment d'en déduire que sont condamnables les différences de traitement patrimonial existant entre les couples d'adultes ayant choisi librement tel ou tel mode de vie[18].

 

3) L'existence d'un standard européen contemporain en matière d'égalité des enfants

 

La Cour note qu'il existe, quant au statut de l'enfant naturel et aux effets du principe d'égalité, un standard européen, standard qui la guide ensuite dans la mise en œuvre du contrôle de proportionnalité qu'elle opère. Elle insiste particulièrement sur l'importance actuelle du principe d'égalité au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe[19] et relève "une nette tendance à la disparition des discriminations à l'égard des enfants adultérins" (§ 52). Rappelant enfin la nécessité d'une interprétation évolutive de la Convention européenne, elle écarte l'argument tiré de certaines décisions antérieures de la Cour, "les circonstances de temps n'étant pas les mêmes".

 

b) Malheureusement, la Cour n'a pas su se dégager totalement des circonstances particulières du cas

 

On notera en premier lieu qu'elle insiste sur la légitimité de raccroc du demi-frère privilégié par le droit français. La référence à "l'enfant naturel" n'est pas, à cet égard, un hasard. On pouvait effectivement soutenir qu'un enfant légitimé par le mariage de ses parents n'est pas "issu" de ce mariage puisqu'il n'a pas été "conçu en mariage" et qu'il ne bénéficie donc en quelque sorte que d'une légitimité de raccroc[20]. L'argument n'avait pas été invoqué devant la Cour de cassation ; il avait d'ailleurs peu de chances de la convaincre vu l'interprétation extensive qu'elle donne à l'article 760 du Code civil[21], notamment en l'appliquant au profit de l'enfant adopté. Il avait en revanche été soulevé devant la Cour européenne. Et l'on regrettera que cette dernière ait implicitement retenu un tel élément de fait, dans le mesure où cet argument n'est pas pertinent (v. infra) et où il risque de conduire à restreindre la portée de l'arrêt au seul cas de cet enfant "tout juste légitime"[22].

 

On regrettera en second lieu que la Cour note l'existence d'une séparation de fait entre la mère et son mari lors de la naissance de l'enfant adultérin. Et aussi qu'elle relève que le divorce a suivi de peu la naissance. Il s'agissait ainsi comme l'a relevé la doctrine d'un "adultérin sur mort-mariage". Ce faisant, elle semble considérer que le lien juridique, l'institution, importe moins que la réalité vécue, le fait : on pourrait ainsi être plus ou moins adultérin[23]. L'argument nous paraît peu pertinent, au moins au plan institutionnel. En outre, il diminue la portée de l'arrêt, qu'il convenait de fonder sur un principe et non sur des circonstances de fait.

 

De ces divers éléments, la Cour conclut qu'"aucun motif en l'espèce ne peut expliquer la différence de traitement". Cette conclusion est exacte. Mais nous l'aurions souhaité fondée sur le défaut d'adéquation du moyen et de la fin plutôt que sur le défaut de proportionnalité.

 

2°) Le raisonnement préférable : le défaut d'adéquation entre la fin et le moyen

 

Il suffisait de nier l'adéquation du but poursuivi et du moyen retenu. Il nous semble en effet que deux buts différents se cachent sous cette expression générale de protection de la famille légitime. Il peut s'agir d'une protection institutionnelle ou d'une protection individuelle. Or, ni l'un ni l'autre de ces deux buts ne peuvent être atteints par l'inégalité critiquée.

 

a) La protection de l'institution. A supposer établi que la société souhaite par là promouvoir la famille légitime, jugée préférable dans l'intérêt général et individuel (en termes de natalité, de stabilité…), la Cour aurait du dire 3 choses :

 

La prévention est illusoire : à les supposer informés, les amants ne réfléchissent pas au sort de leurs éventuels enfants avant de décider d'être fidèles ou d'entretenir des rapports charnels adultérins. La vocation successorale de l'enfant adultérin n'incite donc ni au mariage des amants, ni au respect de la fidélité en mariage.

 

La réparation de l'outrage causé au système juridique par la violation de l'institution matrimoniale est inexistante, la sanction consistant à réparer le tort fait à l'institution du mariage par la restriction des effets d'une autre institution, la filiation, institution qui ne devrait tendre qu'à assurer l'intérêt de l'enfant, est même symboliquement très mal venue pour le système juridique.

 

b) La protection des individus. La protection des membres de la famille légitime n'est pas davantage de nature à justifier la solution.

 

1°) Y a-t-il réparation du tort causé aux victimes de l'adultère ? C'est peu probable. Le dommage matériel[24] n'est pas réellement réparé (puisque c'est alors l'intégralité de la vocation successorale de l'enfant qui devrait disparaître)[25]. Quant au dommage moral, il est irréparable s'il est effectif et à tort réparé s'il est, comme c'est bien souvent le cas, inexistant en fait (notamment lorsque les enfants, légitime(s) et adultérin(s), sont élevés ensemble…). Le principe d'une réparation forfaitaire est alors fictif et arbitraire. Parce que l'existence et l'importance du dommage dépendent dans la réalité des circonstances de fait, extrêmement diverses, la sanction abstraite et inconditionnelle consacrée par le droit positif n'est pas satisfaisante.

 

2°) Y a-t-il, enfin, sanction de la faute commise lors de l'adultère ? La réponse est évidemment négative puisque ce sont les héritiers du défunt adultère qui subissent cette sanction (et encore seulement l'enfant adultérin) et non les auteurs de la violation du devoir de fidélité.

 

La question de la légitimité du statut successoral inférieur de l'enfant adultérin conduisait ainsi en réalité à se demander dans quelle mesure il était légitime de faire produire, dans l'ordre vertical de la filiation, des conséquences à la nature de la relation nouée, dans l'ordre horizontal, entre les auteurs de l'enfant. Et la Cour européenne aurait sans doute été mieux inspirée à fonder explicitement sa solution sur l'autonomie institutionnelle de la filiation : parce qu'elle poursuit une finalité propre et distincte de celle du mariage, finalité que nous avons cru pouvoir définir comme étant une insertion harmonieuse de l'enfant dans une famille apte à le conduire le mieux possible à l'âge adulte, la filiation n'a pas à dépendre, a priori, ni dans son existence, ni dans ses effets, de l'union existant entre les auteurs de l'enfant mais seulement du lien existant entre l'enfant et son auteur et de la qualité de ce lien[26].

 

 

II • L'avenir possible du principe d'égalité en droit familial interne

 

La condamnation européenne conduit naturellement à s'interroger sur l'avenir de l'égalité des filiations en matière successorale (A) mais aussi, plus généralement, sur la portée de l'égalité en matière familiale (B). 

 

A • Le statut successoral de l'enfant adultérin

 

Une réforme législative s'impose (1°) mais son contenu est incertain (2°).

 

1°) La nécessité avérée d'une réforme législative

L'autorité des décisions de la Cour européenne rend nécessaire une réforme législative.

 

a) L'autorité de la décision de la Cour européenne des droits de l'Homme

Elle passe par la distinction de la condamnation d'espèce et de l'interprétation la fondant.

 

1) L'autorité de la décision de condamnation

 

Le dispositif de la décision de la Cour est la condamnation de la France à réparer le dommage causé à l'enfant adultérin. Cette condamnation a autorité de la chose jugée, et valeur de précédent, ce qui incitera sans doute d'autres victimes éventuelles à porter le litige devant la Cour.

 

Le résultat est que :

 

* l'enfant protégé a une part supérieure à celle qu'il devrait avoir si l'on appliquait le principe d'égalité entre les enfants ;

* l'enfant adultérin touchera la part qu'il devrait avoir et qui lui est enlevée pour être attribuée à l'enfant protégé, non pas à titre de droits successoraux mais à titre d'indemnité reçue de l'Etat français, et donc sans avoir à acquitter de droits fiscaux. A quoi il y aura lieu d'ajouter la réparation du dommage moral éventuel.

 

En bref, comme la doctrine l'a regretté, c'est le contribuable français qui est le dindon de la farce !

 

2) L'autorité des motifs de la condamnation

 

* Les textes. La portée, au plan interne, des textes consacrant le droit au respect des biens ou le droit au respect de la vie privée et familiale est incontestée : ces textes ont non seulement effet direct en France mais encore valeur supérieure aux lois internes (art. 55 const. 1958).

* Leur interprétation. La force de l'interprétation donnée par la Cour européenne des droits de l'Homme est plus limitée. Contrairement à la Cour de justice, la Cour européenne n'a pas le pouvoir de rendre des arrêts d'interprétation que les Etats seraient tenus de respecter. Il en résulte, en théorie, que ses décisions n'ont d'effet obligatoire, juridiquement, qu'entre les parties aux litiges qu'elle a tranchés spécialement. Pour autant, la doctrine insiste sur l'importance de "l'autorité de la chose interprétée" (cf. F. Sudre), autorité qui procède d'une sorte d'incorporation de l'interprétation au texte-même et que la menace d'une nouvelle condamnation de l'Etat français par la Cour européenne rend en fait considérable. Cette distinction entre l'autorité de jure et l'autorité de facto (cf. A. Rouhette) est assez semblable, au fond, à celle qui s'attache en droit interne à l'interprétation des textes par la Cour de cassation[27].

 

b) Quelles sont donc les conséquences immédiates de l'affaire Mazurek ?

1) Du côté des juridictions

Il est probable que la Cour de cassation se pliera à la décision[28], ce qu'elle peut d'ailleurs faire sans "perdre la face", puisqu'elle peut se fonder sur l'article 1er du Protocole additionnel n°1, texte qui n'avait pas été invoqué devant elle en 1996. Les juridictions inférieures peuvent, quant à elles, écarter directement les dispositions de l'article 760 du Code civil. Mais si certaines juridictions retiennent déjà cette solution[29], il n'est pas sûr qu'elles fassent toutes preuve de la même audace, ne serait-ce qu'en raison de la difficulté qu'il y a à déterminer la portée substantielle de la décision européenne.

2) Du côté des praticiens

 

Les choses sont plus difficiles encore pour les officiers ministériels, qui ne sont pas fonctionnaires représentants de l'Etat mais qui sont officiers publics. Le nécessaire respect des intérêts de leurs clients les met dans une situation délicate.

 

Il faut leur recommander la prudence tant que la Cour de cassation n'a pas statué. Ils doivent donc informer les parties de l'incertitude existant en droit positif[30], de préférence par écrit pour conserver la preuve de l'accomplissement de ce devoir d'information. Il est plus difficile de déterminer le conseil qu'ils doivent fournir aux parties. Certains suggèrent au notaire chargé de la liquidation de la succession de tenter d'amener les parties à transiger[31] et, à défaut d'un tel accord seulement, de leur conseiller de saisir le tribunal compétent. Un auteur a toutefois suggéré de conseiller, en toutes hypothèses, la voie contentieuse, cette voie permettant à l'enfant légitime de bénéficier d'une part successorale augmentée sans sacrifier l'enfant adultérin, puisque celui-ci touchera la part que l'égalité commande de lui attribuer, à titre d'indemnité versée par l'Etat français[32]… Ce conseil ne nous paraît pas judicieux : l'abus de droit est sanctionné dans l'ordre européen ; en outre, si ce conseil conduit les parties à engager les frais d'un procès et si la Cour de cassation renverse sa jurisprudence et applique d'elle-même une dévolution successorale égalitaire, le remboursement des frais du procès risquera d'être demandé par les parties au notaire pour avoir donné un conseil risqué.

 

Outre l'incertitude quant à la positivité actuelle des textes sanctionnant l'enfant adultérin en droit successoral, le caractère symbolique de l'égalité des filiations[33] rend nécessaire une réforme législative. Sans compter que l'incertitude caractérise également la portée de l'égalité successorale protégée par l'arrêt Mazurek.

 

2°) La détermination incertaine de la réforme substantielle

 

La substance même de cette réforme pose problème. La difficulté vient de ce que plusieurs dispositions concourent à doter l'enfant adultérin d'un statut véritablement dérogatoire. La décision européenne les condamne-t-elle toutes identiquement ou faut-il procéder à des distinctions ? La doctrine a dénoncé, à juste titre, l'existence d'un "nid à contentieux" rendant "urgente l'intervention du législateur"[34]. Deux questions apparaissent : le domaine de la réforme et la portée de celle-ci.

 

a) Le domaine de la réforme

 

Quelles dispositions réformer ? Les dispositions spécifiques relatives à l'enfant adultérin varient quant au bénéficiaire de la discrimination et quant à la nature du particularisme du statut successoral, qui peut être relatif à la quotité des droits ou à leur nature. Indépendamment de cette diversité, il faut garder présente à l'esprit l'innocence de l'enfant adultérin, qui est une constante : quelle que soit la disposition considérée, en effet, elle frappe un enfant qui n'est pour rien dans la faute de ses auteurs.

 

- La personnalité du protégé

La condamnation européenne ne vise explicitement que le cas de l'article 760 du Code civil, qui règle le concours de l'enfant adultérin et des enfants légitimes du mariage protégé. Que décider relativement à l'article 759 du Code civil, texte qui règle le concours entre l'enfant adultérin et le conjoint trompé ?

 

La doctrine est souvent plus hésitante[35].

 

On notera toutefois que la décision de la Cour européenne était fondée sur le défaut de proportionnalité entre le moyen et la fin poursuivie, fin qui consistait dans la protection de la famille légitime et non pas dans celle des enfants légitimes. Le raisonnement suivi par la Cour à l'égard de l'article 760 semble rigoureusement transposable ici. Et ce texte nous paraît d'autant plus condamné par le principe d'égalité que l'inadéquation démontrée plus haut entre le moyen retenu et la finalité poursuivie existe tout autant dans les deux cas, que l'enfant adultérin soit en concours avec le conjoint trompé ou les enfants du mariage protégé[36].

 

La seule limite tient à l'insuffisance manifeste de la vocation successorale du conjoint survivant. Cette insuffisance, que chacun reconnaît, ne tient pas à l'existence d'un enfant adultérin ; elle existe en toute hypothèse dès lors qu'un enfant occupe le premier ordre et concourt sur la succession avec le conjoint du défunt. Mais elle prend ici une dimension particulière en raison des circonstances de fait. Dans une famille unie, le fait tempère la sécheresse de la vocation légale, en ce sens que les enfants ne chasseront pas leur auteur des biens du défunt et resteront bien souvent en indivision pour ne pas modifier brutalement les conditions de vie du survivant. Ici en revanche, il ne faut pas compter sur le sentiment pour tempérer l'insuffisance des droits du conjoint survivant ; on peut même craindre que l'enfant adultérin réclamera le respect immédiat et rigoureux de ses droits. L'insuffisance du statut successoral du conjoint survivant risquera de produire en fait des conséquences dramatiques en présence d'un d'enfant adultérin.

 

La réforme du droit successoral actuellement en discussion au Parlement[37] associe effectivement les deux questions puisqu'elle améliore sensiblement le sort du conjoint survivant en même temps qu'elle consacre l'égalité successorale des enfants[38].

 

2) La nature de la distinction : la quotité des droits ou la nature des droits

 

La plupart des dispositions spéciales portent atteinte à l'égalité en valeur des droits dans la mesure où elles restreignent la quotité des droits successoraux de l'enfant adultérin. Tel est le cas non seulement de la disposition ici sanctionnée par la Cour européenne mais encore d'autres textes, tels l'article 759 du Code civil, qui règle le concours entre l'enfant adultérin et le conjoint trompé, ou encore les articles 908 et 1097 qui restreignent la capacité qu'a l'enfant adultérin d'être gratifié à titre gratuit par son auteur adultère.

 

La restriction des droits de l'enfant adultérin est, dans tous ces cas, destinée à sanctionner l'adultère et préserver la famille légitime. L'inadéquation démontrée plus haut entre le but poursuivi et la mesure envisagée condamne ces dispositions. Et leur suppression devrait s'accompagner de l'abrogation de l'article 915-2, qui prévoit que l'enfant peut abandonner sa vocation successorale réduite et lui préférer un droit à aliments, texte qui perdrait toute justification.

 

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale le 8 février 2001 et tendant à réformer le droit successoral prévoit effectivement l'abrogation de l'ensemble de ces textes.

 

Dans deux cas, en revanche, c'est la nature des droits attribués et non leur quotité qui est particulière : les articles permettent une attribution préférentielle particulière[39] de biens au conjoint ou aux enfants légitimes (art. 761) ou une attribution anticipée de biens à l'enfant adultérin par son auteur adultère et en règlement de ses droits successoraux (art. 762)[40].

 

Ces dispositions sont destinées à assurer la protection des individus, en évitant, pour la première, que le conjoint et les enfants légitimes soient expulsés du logement familial ou de l'entreprise familiale… par l'enfant adultérin et, pour la seconde, que famille légitime et enfant adultérin se déchirent au moment du partage. A partir du moment où l'égalité en valeur est assurée, ces deux dispositions, qui nous semblent procéder d'un esprit d'apaisement et de protection réelle des intéressés, ne nous semblent pas condamnées par la décision européenne.

 

Elles disparaîtront pourtant si la proposition de loi déposée adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture le 8 février 2001 est définitivement adoptée puisque seraient abrogés les articles 759 à 764 du Code civil.

 

b) La portée de la réforme

1) La question matérielle

 

L'abrogation pure et simple de diverses dispositions (art. 760, 908, 915-2 C. civ.) devra donc accompagner une réforme substantielle du statut successoral du conjoint survivant.

 

Comme souvent, la disparition du statut spécial renverra l'éventuelle réparation du tort subi par les victimes de l'adultère au droit commun, de la responsabilité civile. Faut-il craindre alors que la disparition du statut spécifique aille de pair avec un accroissement du contentieux ? Ce risque ne nous paraît pas considérable, même s'il est possible qu'effectivement la responsabilité civile soit utilisée à des fins punitives, principalement dans les familles où la découverte intempestive de l'adultère surviendra au jour du règlement de la succession.

 

2) La question temporelle

 

Plus délicate est la question de la portée temporelle de la réforme.

 

Le droit commun transitoire conduit à considérer que l'égalité doit jouer pleinement dans les successions non encore ouvertes au jour de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi (c'est de l'application immédiate) mais qu'elle ne peut, en revanche, produire effet dans les successions déjà ouvertes (ce serait de la rétroactivité). En outre, si des actes juridiques ont été conclus pour régler la dévolution de la succession, leur validité sera appréciée par application de la loi en vigueur au jour de leur conclusion ; ils continueront en outre de produire leurs effets après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, sauf à considérer que l'égalité est d'ordre public et doit prévaloir dans le futur (ce qui nous semble être le cas).

 

Parce que ces solutions ne sont pas satisfaisantes, à divers égards, il est indispensable que la réforme législative contienne des dispositions transitoires permettant de donner à l'égalité la plus grande portée possible tout en respectant autant que possible la sécurité juridique[41]. Il est regrettable que la réforme actuellement à l'étude n'ait pratiquement rien prévu à ce sujet[42] puisqu'elle se borne à prévoir l'application des nouvelles dispositions à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la publication de la nouvelle loi[43].

 

B. Le statut familial français

 

Cette décision de la Cour européenne invite à s'interroger plus largement sur l'avenir du principe d'égalité en droit familial interne, et ce, que l'on suive la doctrine qui considère que cette décision européenne transforme l'article 14 de la Convention en un texte "autonome"[44] ou que l'on explique la solution européenne par une interprétation large du droit au respect des biens ou encore que l'on préfère invoquer le droit au respect de la vie privée et familiale. L'affaire Mazurek conduit ainsi au réexamen de toutes les différences de traitement, dans le statut patrimonial (via l'article 1er du Protocole additionnel n° 1 : régime matrimonial, régime successoral…) et dans le statut extra-patrimonial (autorité parentale, nom, établissement du lien de filiation…) procédant du lien familial, qu'il s'agisse du lien de filiation ou de couple.

 

Le raisonnement de la Cour, qui insiste sur l'innocence de l'enfant, n'est évidemment pertinent que pour le statut de l'enfant (1°) ; il est sans portée pour le statut des adultes (2°), ceux-ci ayant bien souvent volontairement choisi le statut qui les régit. Indépendamment de cette distinction fondamentale, il faut se garder du mythe de l'égalité à tout prix : la famille est une institution ; à ce titre, elle ne peut nier les différences de fait existant entre les familles.

 

1°) Le statut des enfants

 

L'égalité ne saurait remettre en cause le statut attaché à la minorité : si l'enfant est placé sous l'autorité de ses père et mère, ce qui restreint sa liberté en matière de vie privé, de religion, de vie familiale…, c'est pour le protéger contre son immaturité et contre des décisions qui lui seraient néfastes. Pour le reste, l'égalité justifierait certaines réformes, dans le statut patrimonial mais surtout dans le statut personnel.

 

a) Le statut patrimonial

 

La protection de l'enfant contre les avantages matrimoniaux  que l'un de ses auteurs peut consentir à son nouveau conjoint fait incontestablement partie des dispositions discriminatoires condamnées par le principe d'égalité. La Cour de cassation, critiquée par la doctrine, a interprété l'enfant du premier lit comme étant l'enfant d'un précédent mariage et a refusé d'en faire profiter l'enfant naturel né avant le mariage considéré[45]. Pourtant, l'article 1527 n'était pas destiné à protéger le mariage mais l'enfant qui n'est pas issu de ce mariage contre les dispositions intempestives de son auteur[46]. La réforme doit permettre d'élargir la protection de l'article 1527 alinéa 2 à l'enfant naturel d'un précédent lit.

 

b) Le statut personnel

 

Le statut personnel recèle plus de distinctions. Mais elles ne sont pas toutes contraires à la Convention européenne des droits de l'Homme. Une différence de traitement entre enfant légitime et enfant naturel n'est condamnable que si elle ne poursuit pas un but légitime ou si elle n'est pas proportionnée à ce but.

 

Rares sont les dispositions dont la finalité est de promouvoir l'institution matrimoniale. Il en existe quelques unes en matière d'établissement du lien de filiation (fin de non-recevoir à une action en contestation ou à un établissement du lien de filiation, différence de prescription, personnes pouvant agir), mais elles ne sont pas légion.

 

D'autres procèdent de différences de fait ou de droit, existant entre ces deux types d'enfant, différences pertinentes au regard de l'objet de la règle considérée.

1) L'établissement du lien de filiation naturelle

Mater semper certa est. Il est devenu banal de prôner la consécration en droit français de l'adage "mater semper certa est" : l'égalité avec l'enfant légitime imposerait de se contenter des mentions de l'acte de naissance pour établir le lien de filiation naturelle. Cette interprétation, consacrée en son temps par la Cour européenne[47], vient d'ailleurs d'être retenue par une décision du Tribunal de grande instance de Brive-la-Gaillarde du 30 juin 2000[48]. L'égalité dans la jouissance des droits et libertés issus de la CEDH ne suffit pourtant pas, à notre sens, alors qu'une différence considérable sépare enfant légitime et enfant naturel sur ce point : il existe, relativement à l'enfant légitime, un engagement parental pris par les époux au jour du mariage, alors qu'un tel engagement volontaire est sans équivalent à l'égard de l'enfant naturel. Prétendre que cet établissement automatique de la filiation découle du droit à une vie familiale suppose de réduire la filiation juridique à n'être que le décalque du lien de sang. C'est nier toute l'essence volontaire du lien de filiation.

 

Le refus du double lien de filiation incestueuse. Ne conviendrait-il pas d'abolir également l'article 334-10 qui empêche l'établissement du double lien de filiation relativement à l'enfant incestueux ? Parce qu'il restreint les droits de l'enfant en se fondant sur les circonstances de sa conception, la doctrine l'a suggéré[49]. Hypocrite[50], cette solution peut toutefois se justifier pour une raison symbolique : la société marque la répugnance extrême attachée à ce tabou social essentiel. Et cette répulsion morale, largement partagée en Europe, serait sans doute suffisante pour justifier l'admission de cette restriction des droits de l'enfant auprès de la Cour européenne.

 

- Les effets du lien de filiation naturelle

 

L'égalité de statut est écartée dans deux cas principaux.

 

Le premier est celui de l'autorité parentale : elle est plus souvent unilatéralement attribuée sur l'enfant naturel que sur l'enfant légitime. L'élargissement de l'attribution conjointe a été proposé pour "responsabiliser les pères"[51] naturels. On peut discuter de l'efficacité de l'attribution de l'autorité si la réalité du lien paternel reste incertaine. On peut aussi faire valoir que le mariage a souvent tissé, ne serait-ce qu'un instant, des liens entre l'enfant légitime et son père, alors que rien de tel ne peut être présumé relativement à l'enfant naturel. Est-il dès lors vraiment contraire à l'égalité de la jouissance des droits et libertés d'attribuer l'autorité à la mère, alors que c'est elle qui élève l'enfant, qu'un autre aura peut-être seulement conçu avant de le reconnaître[52] ? L'égalité ne suffit pas, en réalité, à condamner le droit français de l'autorité parentale ; cette condamnation ne peut procéder que d'une réflexion relative à cette institution qu'est l'autorité parentale, et notamment à la part qui doit être faite, en son sein, aux divers éléments qui sont le lien de sang, la volonté d'assumer l'enfant, la charge effective de ce dernier.

 

Le second est celui du nom. Chacun sait que le principe patronymique est réservé à la famille légitime, sous réserve du cas de l'enfant reconnu par ses deux auteurs et acquérant alors le nom de son père. Mais, là encore, y a-t-il vraiment atteinte à l'égalité entre les enfants ? Au-delà des arguments relatifs à la préservation symbolique de la paternité[53], l'unité propre à la famille légitime (unité de domicile, d'autorité) ne justifie-t-elle pas que le principe patronymique lui soit réservé ? La réforme actuellement en discussion au Parlement[54] unifierait dans une certaine mesure les règles d'attribution du nom puisque l'article 57 du Code civil donnerait désormais aux parents la liberté soit de choisir l'un de leurs deux noms soit d'accoler leurs deux noms lorsque la filiation de l'enfant est établie simultanément à l'égard de l'un et l'autre.

 

2°) Le statut des adultes

 

L'égalité entre les couples est un principe incertain, dans la mesure où la nature du lien de couple établi (mariage, pacte civil de solidarité, concubinage "simple"…) procède généralement d'un choix volontaire des adultes. Pourrait toutefois effectivement être discutée la question de la légitimité de la protection de telle ou telle famille plus que telle ou telle autre : elle devrait être appréciée à l'aulne du critère de proportionnalité.

 

L'égalité entre les adultes conduit enfin à apprécier toutes les distinctions s'imposant aux intéressés : restriction de l'accès à tel ou tel statut de couple (condition d'âge, d'hétérosexualité, condition de santé mentale…), restriction à l'octroi de telle ou telle prérogative dans l'ordre de la parenté. La Cour est pour l'heure assez respectueuse de la compétence législative des Etats sur le premier point au moins[55]. La seule question délicate est relative au nom, et la réforme législative en cours serait de nature à supprimer toute discrimination entre homme et femme sur ce point[56].



[1] Nîmes, 24 mars 1994, JCP 1996, éd. N, 930, note H. Mazeron ; RT 1995, 612, obs. J. Hauser.

[2] JCP 1997, I, 3996, n°1, obs. J. Rubellin-Devichi, 4021, n°1, obs. R. le Guidec, II, 22834, note Ph. Malaurie ; Dr. Fam., 1996, 26, note B. Beignier ; Defrénois 1997, 310, obs. J. Massip ; D. 1997, Somm. 275, obs F. Dékeuwer-Défossez ; D. 1998, 453, note L. Brunet ; RT 1996, 873, obs. J. Hauser ; RT 1997, 543, obs. J.-P. Marguénaud ; PA 1997, n° 13, p. 25, note S. Picquet-Cabrillac.

[3] L'enfant y est défini comme l'être humain n'ayant pas atteint l'âge de la majorité.

[4] JCP 2000, II, 10286, note A. Gouttenoire-Cornut et F. Sudre ; D. 2000, 332, note J. Thierry ; Defrénois 2000, 37179, n° 29, obs. J. Massip ; Dr. Fam. 2000, n° 33, obs. B. de Lamy ; PA 10 mai 2000, p. 11, note S. Hocquet-Berg, 5 juillet 2000, p. 18, note J. Massip ; RT 2000, 429, obs. J. Marguénaud, 601, obs. J. Patarin ; B. Vareilles, « L'enfant de l'adultère et le juge des droits de l'Homme », D. 2000, 626 ; Ph. Stoffel-Munck, « L'enfant qui sort de l'ombre », Dr. et patr.. 2000, n° 82, p. 56 s.

[5] J. Carbonnier, Droit et passion du droit sous la V° République, Flammarion, 1996, p. 257.

[6] J. Massip, obs. préc. Defrénois..

[7] Le droit ne procède pas en retirant à l'enfant une partie de la vocation normale qu'il lui a préalablement attribuée. Il se borne ab ovo à limiter la détermination des droits successoraux.

[8] Le droit d'un créancier ressemble au droit d'un héritier dans la mesure où le droit de gage général apparaît, lui aussi, comme une vocation à saisir tout bien appartenant au débiteur. Il ne saurait pour autant y avoir identité : la substance même de la créance, à savoir la prestation directement due au créancier, est sans équivalent pour l'héritier ; ce dernier est tenu au passif…

[9] B. Vareilles, note préc..

[10] J. Massip, obs. préc..

[11] B. Vareilles, note préc. ; J.-P. Marguénaud, obs. préc..

[12] V. ainsi le rejet par la Cour de cassation de l'inclusion des éléments patrimoniaux dans la sphère du secret de la vie privée à propos de la divulgation de tels éléments par la presse.

[13] Il est vrai que, dans l'affaire Marckx, les plaignants invoquaient la restriction à leurs droits successoraux sur une succession non encore ouverte. On en a déduit qu'ils ne pouvaient donc se fonder sur le droit au respect des biens, à la différence de l'espèce soumise ici à la Cour. Mais l'argument ne vaut pas grand chose, alors que le recours à la notion de bien est ici très discutée, v. supra.

[14] Comme l'a relevé l'opinion en partie dissidente de deux juges européens : M. Loucaides, Mme Tulkens.

[15] La fragilité factuelle du concubinage est pourtant de nature à justifier une politique étatique de préférence à l'égard du mariage, qui reste moins dissoluble, quelle que soit la grande fréquence des divorces prononcés.

[16] Elle invoque ainsi les divers projets de réforme de la loi de 1972.

[17] Elle rappelle ainsi que 1 enfant sur 4 est un enfant naturel… A quoi l'on peut rétorquer qu'il n'est pas question de l'enfant naturel mais de l'enfant adultérin, ce qui est très différent : la naissance du premier procède de l'exercice par les parents d'une liberté, celle d'entretenir des relations sexuelles hors mariage alors que la seconde résulte d'une relation charnelle entretenue en violation du devoir de fidélité attaché au mariage.

[18] Ainsi des statuts différents attachés au mariage, au régime matrimonial, au concubinage, au pacte civil de solidarité…

[19] Elle rappelle la Convention de 1975 sur le statut juridique des enfants nés hors mariage.

[20] J. Massip, obs. sous Civ., 1ère, 25 juin 1996, Defrénois 1997, note sous CEDH, 1er février 2000, Defrénois 2000.

[21] Alors que la doctrine, même lorsqu'elle est favorable au principe d'un statut successoral inférieur de l'enfant adultérin, milite souvent pour une interprétation stricte des textes, la Cour de cassation est allée au delà de la lettre à diverses reprises : ainsi en étendant la sanction à la succession d'autres ascendants (Civ., 1ère, 26 avril 1988, JCP 1989, II, 21246), ou lorsque le concours survient avec un enfant adopté (Civ., 1ère, 8 nov. 1982, D. 1983, 445)…

[22] J.-P. Marguénaud, obs. préc. RT 2000.

[23] J.-P. Marguénaud, obs. préc. RT 2000, parle ainsi de l'enfant "à peine adultérin".

[24] On invoque en outre comme dommage l'attribution éventuelle à l'enfant adultérin de la part de communauté due à l'effort du conjoint trompé. Mais ce risque relève du droit matrimonial et non du droit successoral.

[25] On notera que le dommage peut s'avérer considérable pour l'enfant légitime si le décès de son parent non adultère est survenu avant le décès de l'auteur adultère et si les époux avaient stipulé un régime de communauté avec clause d'attribution intégrale au survivant puisqu'alors l'enfant adultérin viendra en concours avec les enfants légitimes sur des biens provenant éventuellement du conjoint trompé. Cette hypothèse n'est heureusement pas fréquente, ce régime étant généralement choisi en fin de vie et les conseils des parties les dissuadant généralement d'y recourir en présence d'un enfant adultérin. A l'inverse, il résultera de la solution retenue une situation parfois très avantageuse pour l'enfant légitime protégé. S'il est en concours avec l'enfant adultérin et des enfants naturels simples, la part enlevée à l'enfant adultérin accroîtra sa seule part successorale, si bien qu'il aura le cas échéant plus que ce qu'il aurait eu s'il n'avait pas existé d'enfant adultérin. V. sur ce point les propositions de M. Grimaldi, suggérant de considérer comme un plafond cette part successorale à laquelle l'enfant protégé aurait eu droit en l'absence d'enfant adultérin et les réfutations de Y. Lequette et F. Terré, Les successions, Les libéralités, Précis Dalloz, 1997, n° 135.

[26] V. pour cette analyse institutionnelle de la filiation, La filiation plénière, un modèle en quête d'identité, Mélanges en l'honneur de François Terré, 1999, p. 509 s.

[27] A ceci près que les juridictions inférieures sont tenues de s'incliner si elles sont saisies après cassation, par l'assemblée plénière de la Cour de cassation, d'un arrêt de résistance rendu par la Cour d'appel de renvoi après une première cassation. La réserve n'est pas, juridiquement, indifférente.

[28] Vu l'obéissance dont la Cour a fait preuve à l'égard du transsexualisme (Ass. Plén., 11 déc.1992), il y a fort à parier qu'elle s'inclinera.

[29]  TGI Montpellier, 2 mai 2000, Defrénois 2000, art. 37275, obs. Massip ; Dr. Fam. 2000, n° 9, note A. Gouttenoire-Cornut.

[30] V. en ce sens, J. Massip, obs. préc. Defrénois 2000, B. Vareilles, note préc. D. 2000.

[31] A supposer que la situation  corresponde à cette qualification (cf. B. Vareille, J. Massip) : aléa, renonciation à CEDH, même si seulement droit de propriété.  La doctrine se pose la question de la nature de la renonciation, en particulier la question de savoir si l'acte est à titre onéreux ou à titre gratuit. Selon moi, il est à titre onéreux puisqu'on se trouve en présence de contre-prestations réciproques. Il en résulte donc a priori que le fisc ne percevra pas de droits calculés sur les actes à titre gratuit, d'autant que sinon, cela reviendrait à considérer que l'enfant adultérin est sans droit, donc à violer la Convention européenne des droits de l'Homme, le fisc étant une administration publique (J. Massip, obs. préc. Defrénois). De même, il ne paraît pas nécessaire d'envisager la situation d'un incapable : la doctrine considère que le juge ne pourra pas autoriser le mineur à conclure l'acte, s'il est considéré comme une libéralité. Mais une telle qualification est impensable alors qu'il ne s'agit que de reconnaître les droits de l'enfant adultérin.

[32] B. Vareilles,  note préc. D. 2000.

[33] Il est regrettable à cet égard que l'abrogation des textes par la réforme du droit successoral actuellement en discussion devant le Parlement ait été ajoutée par un amendement à une proposition de loi qui ne visait initialement que le statut successoral du conjoint survivant!

[34] J. Massip, art. préc., p. 658.

[35] V. les hésitations de J. Massip, obs. préc., B. Vareille, note préc., A. Gouttenoire-Cornut, note préc.

[36] Rien ne change du côté de la protection de l'institution du mariage. La seule différence tient dans la personnalité de la victime de l'adultère. Elle n'est pas négligeable : c'est au conjoint (et non aux enfants) que la promesse de fidélité a été faite (ce qui influe sur la faute, qui procède directement de l'engagement matrimonial) ; le conjoint souffre évidemment plus souvent et plus gravement que les enfants de l'adultère (ce qui influe sur le dommage, directement subi et plus considérable). Mais il importe alors de déterminer quelle serait la conséquence d'une simple application du droit commun : la dette de responsabilité trouvant sa source dans le fait générateur est née avant le décès ; elle est donc transmise à la charge de la succession ; dès lors le conjoint pourra demander réparation à l'enfant, non pas à titre personnel mais à titre successoral, du dommage causé par l'adultère, cette faute commise par son auteur. En conséquence, l'apport de l'article 759 est symbolique (que le conjoint ne soit pas brutalement évincé de la succession par la présence de l'enfant adultérin) et patrimonial (il est dispensé de prouver le dommage et bénéficie d'une indemnisation forfaitaire). Ce qui pourra s'avérer très injuste, lorsque le conjoint ainsi favorisé a lui-même été infidèle en mariage ou a pardonné l'adultère… Parce que l'indemnisation forfaitaire ainsi accordée est en réalité assez arbitraire, il nous semble que l'on pourrait sans mal abroger ce droit spécial.

[37] Proposition de loi n° 2867 déposée à l'Assemblée nationale le 17 janvier 2001 par A. Vidalies et adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 8 février 2001.

[38] Elle améliore considérablement la vocation du conjoint survivant, tant par l'attribution d'un quart de la succession en propriété en présence de descendants que par la consécration d'un droit d'habitation sur la résidence principale et d'un droit d'usage sur les meubles la garnissant.

[39] En ce que l'enfant adultérin ne peut prévaloir sur le conjoint trompé ou les enfants du mariage bafoué. Cette préférence vaut que l'attribution préférentielle soit facultative (biens du secteur agricole, professionnel -comme fonds de com.-, habitation -droit de propriété ou droit au bail-…) ou de droit (certaines exploitations agricoles).

[40] A dire le vrai, l'enfant doit accepter cette attribution. Si bien que, pour sa nature juridique, l'opération doit à notre sens être analysée comme un legs tant qu'elle n'a pas été acceptée par l'enfant et comme une donation dans le cas contraire (les autres explications avancées ne sont pas convaincantes : acte d'autorité parentale, pacte sur succession future autorisé, opération préliminaire au partage…). La dérogation au droit commun vient de l'attribution à un tiers d'un pouvoir exclusif et irrévocable de représentation.

[41] La doctrine craint ainsi la remise en question d'actes juridiques antérieurs pour erreur ou lésion. C'est oublier que, en principe, la cause de la nullité s'apprécie au jour de l'acte ; or à ce jour, la lésion n'existait pas puisque les droits de l'enfant adultérin étaient ceux sur la base desquels le partage a été réalisé ; de même, au jour de l'acte, la loi interne étant ce qu'elle était, aucune erreur ne pourra être invoquée. Reste l'argument consistant à faire valoir qu'une libéralité a procédé d'un mobile erroné puisqu'elle a été consentie en considération d'une législation ayant été modifiée ensuite. Mais la disparition de la cause est-elle prise en compte en droit positif ? En tout état de cause, les dispositions transitoires auraient le mérite de supprimer toutes les discussions.

[42] La raison de cette lacune est simple : c'est un amendement à une proposition de loi relative au statut successoral du conjoint survivant qui organise l'abrogation des dispositions inégalitaires au détriment de l'enfant adultérin ; la seule disposition transitoire actuellement prévue est donc celle de la proposition initiale, qui ne concernait que le sort du conjoint survivant…

[43] Tant et si bien que la question de la portée de l'arrêt Mazurek demeure pendant ce délai de latence…

[44] En ce sens J. Massip, obs. préc.

[45] Civ., 1ère, 8 juin 1982.

[46] Comp. S. Hoquet-Berg, note préc.

[47] Arrêt 13 juin 1979, Marckx contre Belgique : la Cour conclut à la violation de l'art. 8 par la législation qui subordonne l'établissement du lien de filiation naturelle à une reconnaissance ou une action en justice.

[48] Defrénois 2000, art. 37261, n° 86, p. 1310, D. 2001, 27 ; en l'occurrence il s'agissait de la dévolution de la succession de l'enfant concerné, décédé sans enfant ni conjoint, et dont la succession devait être dévolue à l'Etat si elle ne l'était à trois cousins germains, ce qui supposait d'établir leur lien de parenté avec le défunt, ce qui supposait de considérer que le nom de la mère dans l'acte de naissance valait établissement du lien de filiation, même sans reconnaissance.

[49] S. Hocquet Berg, note préc..

[50] Car dans le même temps on autorise l'action à fins de subsides, qui suppose admise la possible paternité du défendeur. V. en ce sens, F. Terré, D. Fenouillet, Les personnes, La famille, Les incapacités, Précis Dalloz, 1996, n° 67.

[51] V. en ce sens le rapport Dékeuwer-Défossez.

[52] On aurait pu, ici, promouvoir le mariage dans la mesure où les complications éventuelles de la vie des parents auraient pu conduire ceux-ci à régulariser leur situation pour profiter d'une autorité partagée.

[53] V. en ce sens le rapport F. Dékeuwer-Défossez.

[54] Proposition de loi n° 2709 déposée par M. Gérard Gouzes à l'Assemblée nationale le 15 novembre 2000 et adoptée par elle en première lecture le 8 février 2001.

[55] V. ainsi la question du mariage des transsexuels. Sur le second point, la chose se complique du fait de la prise en considération nécessaire de l'intérêt de l'enfant.

[56] Puisque le sexe des parents ne serait plus le critère d'attribution du nom, qui dépendrait uniquement de la chronologie de l'établissement des liens de filiation paternelle et maternelle et du choix éventuel des auteurs de l'enfant.

 

 

 


 

 

Débats

 

 

Michele DE SALVIA

 

La richesse de cet exposé me fait penser que les arrêts de la Cour sont peut être comme des kaléidoscopes. Il suffit de les tourner de différentes façons  et les réverbères font jaillir d’autres lumières et d’autres formes. Moi, je pense franchement qu’il y a un excès de motivations dans cet arrêt et c’est là peut être aussi le fruit du rôle joué par l’agent du gouvernement. A partir de l’arrêt Inze, qui a été cité dans l’arrêt, qui dit clairement qu’il y avait un problème d’égalité successorale entre enfants nés dans le mariage et enfants nés hors mariage, en Autriche, le but étant de préserver l’unité familiale. Là on dit : seules de très fortes raisons peuvent conduire à estimer compatibles avec la Convention une distinction fondée sur la naissance hors mariage. A partir de là, je crois que la cause était entendue, et si l’on songe à certains pays du nord de l’Europe où les naissances hors mariage, adultérins ou pas, représentent 50 % des naissances, on voit comment les problèmes du sud de l’Europe sont parfois à côté de la plaque !

 

Dominique FENOUILLET-LASZLO

 

Si je peux me permettre, je pense qu’il ne faut pas confondre deux choses qui sont assez différentes, qui sont d’abord la naissance hors mariage, et vous avez tout à fait raison lorsque vous citez les chiffres, et ils sont très importants, et d’autre part, la naissance d’un enfant adultérin. Cela ne me paraît pas être tout à fait la même chose dans la mesure où, par hypothèse, la naissance d’un enfant adultérin aboutit au préalable à avoir méconnu un engagement qui a été pris dans le cadre matrimonial. Toute la motivation qui a trait à la naissance hors mariage des enfants dans l’arrêt me paraît assez déplacée car cela n’est pas la question. Cela a des incidences sur la protection de la famille puisque cela veut dire que la famille légitime est une institution moins importante dans notre société. Cela a des conséquences sur l'exclusivité du modèle de la famille légitime, mais pas directement sur le statut de l’enfant adultérin.

 

Michele DE SALVIA

 

C’est la question qui nous a été posée. Une affaire qui sera communiquée au gouvernement français : pourquoi enfant « adultérin » en 2001 ?

 

On va maintenant passer à une affaire difficile, aux contours imprécis, relations entre le père et l’enfant. Le problème de la soustraction de l’enfant aux parents naturels, problème très sérieux dans certains pays du nord où il y a une intervention massive de l’assistance publique, surtout en Suède et en Finlande. Il y a beaucoup d’affaires finlandaises par rapport à l’ensemble qui posent ce problème très grave.

 

 

 


 

 

La Convention européenne des droits de l’Homme et le droit privé

 

 

Les relations entre le père et l’enfant :

l’affaire Gnahore (19 septembre 2000)

 

par

 

Anne-Marie Leroyer

Professeur à l’Université de Paris XI

 

 

 

 

L'affaire Gnahore c/ France du 19 septembre 2000 concerne la question de la difficile conciliation du droit au respect de la vie familiale et de la protection du mineur en danger.

 

Il s'agit d'un ressortissant ivoirien, résidant en France et qui y élève seul ses trois enfants. Le plus jeune d'entre eux est hospitalisé parce qu'il présente un certain nombre de lésions (traumatisme crânien, hématome aux yeux, plaies au bras et à l'abdomen). Le père, suspecté d'être à l'origine de ces lésions, est inculpé de coups et blessures volontaires sur enfant de moins de 15 ans par ascendant. Les enfants sont tout de suite placés par le juge des enfants auprès de l'aide sociale à l'enfance sur le fondement de l'article 375 du Code civil.

 

La mesure de placement est fondée sur le fait que quelle que soit l'origine des blessures, le père ne présente pas les garanties matérielles et éducatives nécessaires pour assurer la santé et la sécurité de l'enfant. Il est notamment relevé que le père à un emploi de veilleur de nuit. Il est décrit par l'aide sociale comme un homme rigide, l'un de ses fils souffre de son autoritarisme, et surtout il est indiqué que, enfant, il a présenté des séquelles psychologiques dues semble-t-il non pas tant à l'existence de sévices, qu'à l'abandon de la mère. Il apparaît, précise le rapport du juge d'instruction, que les séquelles psychologiques se rattachent directement à la rupture avec le personnage maternel et que la mesure de placement est justifiée car il semble "dangereux de contraindre le père à assumer seul la charge d'une fonction maternante dont la caractéristique se fonde sur une présence continue".

 

Le père bénéficie finalement d'un non-lieu et demande donc que la mesure de placement soit reconsidérée. Non seulement le juge des enfants ne modifie pas la mesure, mais en plus il supprime le droit de visite du père devant l'angoisse manifestée par le fils à l'idée de rencontrer son père. Les rapports d'expertises précisent en outre que le père a un comportement violent, qu'il ne respecte pas les décisions du juge des enfants et qu'il est en conflit avec les services sociaux. Le père souffre d'un trouble psychologique important, mais refuse de suivre la thérapie ordonnée par le juge, comme condition de la reprise des relations avec ses enfants.

 

Après l'échec d'un pourvoi en cassation, le père forme un recours devant la Cour européenne des droits de l'Homme, estimant que la mesure de placement est intervenue en violation de l'article 8 de la convention. La Cour considère qu'il y a bien ingérence dans la vie familiale, mais que cette ingérence ne méconnaît pas l'article 8 car elle paraît bien nécessaire dans une société démocratique.

 

Il convient de vérifier la portée de cette décision au regard des autres décisions de la Cour européenne sur ce point et son influence possible en droit interne  (sur l'influence de la Convention en droit interne, v. spéc. A. Debet, L'influence de la Convention européenne des droits de l'Homme sur le droit civil, Thèse dactyl. Paris II, 2001, sur l'assistance éducative, v. spéc. pp. 627 et s.).

 

 

I • Sensible recul de la CEDH dans le contrôle des atteintes portées au droit au respect de la vie familiale

 

L'ingérence de l'Etat dans la vie familiale ne peut être admis qu'à la condition d'être prévu par la loi et d'être nécessaire. C'est en ce sens qu'il faut entendre l'article 8 de la convention. Cela étant le texte ne dit pas quand une ingérence de l'Etat est nécessaire et qui va apprécier cette nécessité.

 

La CEDH s'est déjà prononcée dans une décision antérieure sur cette question. Plus particulièrement, c'est avec l'arrêt Johansen c/ Norvège, du 7 août 1996 (sur cette décision v. spéc. J-P. Marguénaud, RTDC, 1997, 541), que la CEDH avait précisé la portée du droit au respect de la vie familiale sur les décisions rendues par le juge des enfants en matière d'assistance éducative.

 

Dans l'affaire Johansen, la Cour européenne avait fait une distinction entre l'existence de la mesure et son étendue.

 

* Sur l'existence d'une mesure de placement, la Cour avait reconnu que les Etats ont une grande latitude pour apprécier la nécessité de séparer l'enfant de ses parents. Comme dans d'autres décisions, elle avait utilisé l'expression de "certaine marge d'appréciation" (Olsson c/ Suède 24 mars 1988, Ericksson c/ Suède ; Reime c/ Suède ; Hokkanene c/ Finlande, 23 sept. 1994), on aurait pu penser qu'elle revenait ici a un contrôle moins important de l'attitude de l'Etat. Cela étant, une telle interprétation peut être sujette à caution, car les expressions varient fréquemment d'une décision à l'autre (Scozzari et Giunta c/ Italie du 13 juillet 2000, qui se réfère aussi à une certaine marge d'appréciation)

 

* Sur l'étendue de la mesure de placement, la Cour estimait qu'elle devait exercer un contrôle rigoureux sur deux points :

 

• D'une part, sur les restrictions éventuelles du droit de visite des père et mère. Elle estime que les mesures privant totalement un parent d'une vie familiale avec l'enfant ne doivent être appliquées que dans des circonstances exceptionnelles et ne peuvent se justifier que si elles s'inspirent d'une exigence primordiale touchant à l'intérêt supérieur de l'enfant.

 

• D'autre part, sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et enfants au respect de leur vie familiale. L'article 8 met en effet à la charge de l'Etat des obligations positives destinées à s'assurer du respect effectif de la vie familiale.

 

Dès lors, il apparaît que l'article 8 contient une double exigence  :

 

1. Seules des circonstances exceptionnelles peuvent conduire à une rupture du lien familial.

2. Tout doit être mis en œuvre pour maintenir les contacts entre parents et enfants.

 

Dans notre arrêt, la Cour reprend la même distinction et les mêmes exigences pour l'appréciation de l'étendue de la mesure de placement. En l'espèce, elle relève que l'enfant est placé depuis plus de 8 ans, sans qu'il ait de contacts véritables avec son père. Elle précise que la reconstitution de la cellule familiale serait vraisemblablement pour lui un bouleversement difficilement supportable.

 

Par ailleurs, elle constate que les autorités publiques ont pris pour faciliter le regroupement de l'enfant et de son père toutes les mesures que l'on pouvait raisonnablement exiger d'elles, mais que l'échec des dispositions prises trouve exclusivement sa source dans la conduite du requérant.

 

Sur le plan des principes, la décision paraît être dans la lignée de la jurisprudence antérieure, mais sur l'appréciation de l'étendue de la mesure de placement et des restrictions des droits des parents elle est moins rigoureuse.

 

En effet, la Cour rappelle qu'elle doit exercer un contrôle sur deux points:

 

• D'une part, sur les restrictions éventuelles du droit de visite des père et mère, qui doivent être exceptionnelles, et qui ne peuvent se justifier que si elles s'inspirent d'une exigence primordiale touchant à l'intérêt supérieur de l'enfant.

 

• D'autre part, sur les garanties destinées à assurer la protection effective du droit des parents et enfants au respect de leur vie familiale. L'article 8 met en effet à la charge de l'Etat des obligations positives destinées à s'assurer du respect effectif de la vie familiale.

 

Or, en l'espèce elle n'opère ce contrôle que sur le second point, c'est-à-dire qu'elle vérifie que les autorités ont bien pris toutes les mesures permettant d'assurer le respect effectif de la vie familiale. En revanche, elle passe allègrement sur le contrôle de l'existence de circonstances exceptionnelles justifiant que le droit de visite soit suspendu ou très partiellement accordé. Il n'en est pas dit un mot dans la décision.  Or, on peut se demander où se trouvent ces éléments exceptionnels. Le comportement violent du père à l'égard des services sociaux, son refus de se livrer à une thérapie ne paraissent pas convaincants. La Cour relève simplement que les liens entre sa famille et l'enfant doivent être maintenus, sauf lorsque celle-ci s'en est montré indigne. Mais elle ne recherche pas si, en l'espèce, le père s'est montré indigne de l'exercice de son droit de visite.

 

Cette motivation est critiquable : elle est étrangère à la finalité de l'assistance éducative, elle est même étrangère aujourd'hui au retrait de l'autorité parentale. En réalité ce qui paraît motiver la décision du juge c'est que l'enfant s'épanouit dans sa famille nourricière et qu'il souhaite y demeurer. C'est là une toute autre considération.

 

 

II • L'apport de la décision en droit interne

 

A. Sur le plan des principes, le droit français paraît en conformité avec les exigences posées par la Cour européenne.

 

La conformité au droit européen se vérifie sur plusieurs points :

 

1• Les mesures qui permettent de confier l'enfant à un tiers en le séparant de ses parents sont toutes prévues par la loi (art. 247, al. 3, 256, 287-1, 289, 293, 294-1, 373-3, al. 2 et 3, 375, 375-3, 375-4, 375-5, 375-6, 376-1, 380).

 

2• Elles doivent aussi poursuivre un but légitime (la loi le mentionne expressément : art. 375).

 

3• La loi prévoit que ces mesures doivent être nécessaires pour être mises en œuvre et qu'elles doivent rester exceptionnelles.

 

Le principe de nécessité est affirmé, de manière générale, à l'article 371-3 du Code civil, selon lequel ´l'enfant ne peut [...] être retiré [de la maison familiale] que dans les cas de nécessité que détermine la loiª. Le droit interne est, sur ce point, en conformité avec les articles 7 et 9-1 de la Convention des Nations unies sur les droits de l'enfant.

 

En matière d'assistance éducative, la loi prévoit, si cela est nécessaire, que le juge des enfants peut confier l'enfant à un autre membre de la famille ou à un tiers digne de confiance par une mesure d'assistance éducative (art. 375-3, 2  C. c.).

 

L'article 375-2 C. c. énonce que "chaque fois qu'il est possible, le mineur doit être maintenu dans son milieu actuel" et la jurisprudence donne à l'expression milieu actuel le sens de milieu familial naturel (Civ. I, 23 janvier 1985, Bull., n  35 ; Civ. I, 17 novembre 1981, Bull. n 336 ; Civ. I, 6 janvier 1981, Bull., n  1 ; Civ. I, 20 mars 1979, D. 1979, IR, 431 ; Civ. I, 4 juillet 1978, Bull. n  249).

 

B. Sur le plan pratique, la décision risque cependant d'encourager les détournements de l'institution de l'assistance éducative.

 

* En effet, en droit interne, la mesure de placement est parfois utilisée comme un substitut de fait à l'adoption.

 

Par exemple, la Cour de cassation admet fréquemment qu'un enfant placé par le juge chez un tiers, y soit maintenu au motif qu'élevé depuis longtemps par ce dernier, il aurait été en danger s'il était revenu dans sa famille par le sang (Civ. I, 16 janvier 1979, Bull. n  22 ; Civ. I, 20 oct. 1987, Lexi, pourvoi n  86-80.065. Comp. Civ. I, 28 février 1989, Lexi, pourvoi n  87-05. 066 ; Civ. I, 2 mai 1990, Lexi, pourvoi, n  88-05. 050).

 

L'institution est en ce cas franchement déviée de son objectif, qui est d'assister les parents dans leur fonction éducative. Le placement soustrait l'enfant à son milieu familial naturel, mais ne saurait lui permettre de rester chez ses parents nourriciers.

 

* En ne s'assurant pas que des circonstances exceptionnelles font obstacle à l'exercice d'un droit de visite, le juge détourne aussi la mesure d'assistance éducative de sa fonction : assister les parents dans l'intérêt de l'enfant.

 

Cette décision confirme une contradiction inhérente au droit interne entre l'objectif de la mesure de placement qui est d'assister les parents dans leurs fonctions éducatives et la recherche de la stabilité de vie de l'enfant qui apparaît comme un élément important d'appréciation de l'intérêt de l'enfant.

 

 


 

 

Débats

 

 

 

Michele DE SALVIA

 

Comme vous le voyez, ce genre d’affaires est peut-être le genre le plus difficile à juger à Strasbourg parce que toutes ces questions ne se prêtent pas à une mesure objective. En matière de liberté d’expression, il y a certains jalons, mais ici il y a une appréciation qui a été portée par les juridictions internes. Le juge supranational apparaît très lointain et d’ailleurs à partir de la première affaire, l’affaire Olsson, qui a causé un choc en Suède, parce que c’était la première fois qu’on posait le problème, la Cour s’est limitée à parvenir à une solution en partant de situations objectives. Dans l’affaire Olsson, les trois enfants étaient dispersés, et donc l’éloignement rendait impossible la réunification. La Cour a posé certains principes : ces mesures doivent d’abord viser l’intérêt de l’enfant qui doit primer ; les mesures doivent tendre à la réunification parents-enfants et les moyens mis en œuvre ne doivent pas apparaître déraisonnables. Toutes ces mesures sont déterminantes.

 

Dans l’arrêt Scozzari et Giunta, il y avait aussi des éléments objectifs. Les enfants avaient été placés dans une institution, un home d’enfants, dans lequel opérait un « éducateur » qui avait été condamné dix ans auparavant pour pédophilie. C’était donc une situation étonnante à première vue. C’est l’ensemble de ces circonstances de fait qui font que la Cour peut sanctionner certaines décisions internes mais jamais dans leur origine. Ce n’est pas le placement qui est sanctionné, mais ce sont les mesures qui l’accompagnent. C’est le type d’affaire très difficile à juger à Strasbourg parce qu’il y a cet éloignement et le juge supranational n’a pas la maîtrise du dossier et le contact direct. Encore que dans cette affaire Scozzari et Giunta, la Cour a demandé au gouvernement italien de produire certaines cassettes-vidéo pour les visionner, cassettes qui avaient été tournées dans l’institution en question...

 

Frédéric ROLIN (professeur, Univesité d’Evry-Val d’Essonne)

 

J’ai été très intéressé par les deux exposés présentés. J'aimerais souligner dans l’exposé de Mme Fenouillet-Laszlo une remarque tout à fait intéressante sur les tensions qui existent toujours entre les principes qui figurent dans la Convention et la manière de les mettre en œuvre dans la loi nationale. Si on raisonne en termes strictement normativistes, et si l’on considère que la Cour de cassation a vocation à appliquer les stipulations de la Convention de la même manière que la Cour elle-même, on pourrait dire que la messe est dite : l’interprétation du Code civil est fixé et les dispositions qui sont contraires au sens que la Cour a donné des stipulations de la Convention sont écartées, pas applicables, etc. etc. Mais ce qui est frappant dans l’application de la Convention par la Cour, c’est que c’est une machine à détricoter, à détruire du droit interne, sans reconstruire derrière. Je trouve que cette thématique d’une intervention du législateur avec des mesures transitoires spécifiques, qui clairement violeraient le sens que la Cour donne des stipulations de la Convention et l’incompatibilité qu’elle constate, mérite d’être approfondie. Il faudrait véritablement s’interroger sur la latitude qui pourrait être donnée au législateur, non pas tant de s’écarter des stipulations de la Convention, que de reconstruire des cohérences une fois les décisions de la Cour intervenues, car c’est véritablement un choc pour les internistes chaque fois qu’une décision de la Cour arrive concernant leur domaine : on voit un pan de droit s’effondrer et on se demande comment le reconstruire, dans quel délai, quelle cohérence réadopter. Il y a là quelque chose qui mériterait peut-être d’être évoqué, en particulier pour limiter l’effet des décisions de la Cour et permettre aux juridictions nationales d’atténuer quelque peu leur portée , pour le passé, le présent, voire le proche avenir, pour laisser le temps de reconstruire des cohérences nationales, qui sur certains points font débat, comme vous l’avez justement souligné.

 

Dominique FENOUILLET-LASZLO

 

Je crois que la difficulté est accrue par le fait qu’on ne sait même pas quel est le pan de mur qui est tombé ! On sait qu’il y a condamnation lorsque le concours survient entre un enfant adultérin et un enfant légitimé, et en cas de séparation de fait, mais pour le reste, on ne sait pas vraiment.

 

Si l’on s’en tient, comme vous l’avez très justement dit, au fait qu’il y a un principe d’égalité, ce principe fait tomber tout le statut successoral de l’enfant adultérin. Est-ce que c’est nécessairement une bonne chose ? Peut-être pas, dans la mesure où la protection des personnes qui font partie de la famille légitime est aussi une finalité que le droit familial ne me paraît pas devoir abandonner. J’imagine, par exemple, que le conjoint survivant pourrait être chassé du domicile conjugal par l’enfant adultérin. Il est clair que là il y a une question qu’il faut que le législateur tranche. Il me semble que la situation de concours entre l’enfant adultérin et le conjoint survivant est une situation qui ne peut pas se satisfaire du droit actuel mais l’égalité ne suffit pas. Il faut donc réformer la vocation successorale du conjoint survivant avec le statut de l'enfant adultérin. Cela fait vingt ans qu’on en parle !

 

 

Michèle DUBROCARD

 

A la suite de ce que vous avez dit sur l’affaire Mazurek, vous savez sûrement que le tribunal de grande instance de Montpellier a rendu une décision qui a écarté les dispositions de la loi de 1960 au profit de la jurisprudence Mazurek. Ceci est intéressant car, effectivement, c’est une possibilité qui est donnée à toute juridiction française d’écarter éventuellement une disposition de la loi dès lors qu’un arrêt de la Cour européenne, de manière non ambiguë, considère qu’il y a eu violation d'un droit garanti par la Convention.

 

Dans l’affaire Mazurek, il est clair que les dispositions de l’article 760 du Code civil ne sont pas conformes aux exigences de la Convention.

 

Dominique FENOUILLET-LASZLO

 

A mon sens, c’est tout à fait clair, mais pour la non-ambiguïté de l'arrêt rendu par la Cour, je ne suis pas d’accord. Le seul problème soumis à la Cour concernait la dévolution de la succession d’une mère à ses deux enfants, l’un naturel légitimé, l’autre adultérin. Et la Cour insiste sur les faits particuliers de l'espèce.

 

Michèle DUBROCARD

 

Sincèrement, je crois qu’il n’y a de doute pour personne. C’est tellement vrai, qu’au niveau du Comité des ministres il est clairement demandé à la France de modifier les dispositions du Code civil, ce que le gouvernement s’est engagé à faire très prochainement. En tout cas, ce qui me paraît important, pour une des premières fois, on voit une juridiction nationale prendre à bras le corps une difficulté liée justement à un conflit éventuel de jurisprudence entre la Cour européenne des droits de l’Homme et l’application des dispositions nationales et cette fois-ci, la juridiction nationale le fait au profit de la jurisprudence de la Cour. C’est un événement important à souligner.

 

Dominique FENOUILLET-LASZLO

 

Vous avez tout à fait raison dans la mesure où c’est une des armes qui va effectivement permettre aux juridictions nationales de se plier aux exigences de la Cour. Le problème est, à mon avis, que cette solution n’est pas applicable à toutes les dispositions qui posent problème, toutes les dispositions qui concernent le statut successoral de l’enfant adultérin dans la mesure où, vous n’êtes pas sans savoir qu’il y a aussi l’attribution anticipée et l’attribution préférentielle. Que fera-t-on de ces deux séries de dispositions qui sont propres à l’enfant adultérin ? Est-ce qu’une juridiction peut les écarter en considérant qu’elles sont condamnées par la décision de la Cour européenne ? Je ne le crois pas, et en tout cas le magistrat qui le fera prendra une responsabilité qui, à mon avis, dépasse l’application de l'arrêt Mazurek.

 

Il faut prendre conscience de ce qu’il ne suffit pas que la Cour européenne ait condamné la France ; il me semble qu’une réforme d’ensemble doit être réalisée, notamment pour le concours avec le conjoint trompé. Je crois que ce serait vraiment supprimer une injustice pour en créer une autre, que de se contenter alors de l'égalité successorale des enfants car l'insuffisance de la vocation successorale du conjoint survivant ne pose pas le même problème, en fait, lorsque le conjoint est en présence d'enfants légitimés !

 

Marie-Laure NIBOYET

 

Vous avez indiqué le regret que vous éprouvez à l’égard du fondement qui a été choisi par la Cour pour asseoir sa décision. Je voudrais revenir sur cette question de l’applicabilité de l’article 1 du Protocole additionnel. Vous dites effectivement qu’il ne protège pas que le droit de propriété au sens strict, mais qu’il couvre tout le droit aux biens, mais jusqu’à présent, encore fallait-il, me semble-t-il, être titulaire d’un droit aux biens et ce que l’on entendait jusqu’à présent comme un droit certain. Or ici nous sommes dans le domaine des expectatives. La Cour a un peu escamoté la difficulté puisqu’elle se place au moment de l’ouverture : le droit est certain, mais en réalité pour qu’il y ait une atteinte aux biens, il fallait qu’il y ait un droit préalable à un bien. Alors est-ce que vous croyez qu’on peut considérer que cet arrêt nous invite à une extension du domaine de l’article 1 du Protocole pour la protection de toutes les expectatives, ce qui pourrait être extrêmement......

 

Dominique FENOUILLET-LASZLO

 

A mon avis, c’est une interprétation beaucoup trop large, et elle ne correspond pas à l’intention initiale des rédacteurs. Mais on sait ce qu'il advient souvent de la volonté initiale…

 

Marie-Laure NIBOYET

 

Parce que certains auteurs le soutiennent, et cette question est vraiment en débat aujourd’hui.

 

Dominique FENOUILLET-LASZLO

 

A mon avis, pour l’instant, il vaudrait mieux quitter ce terrain qui est très discutable techniquement et, surtout, qui me paraît très réducteur dans la mesure où c’est une question de statut familial qui est ici abordée, et s’en tenir au droit au respect des biens, c’est forcément limiter la portée de l’arrêt Mazurek alors que cet arrêt doit être considéré comme étant rendu en matière de statut familial et comme imposant à l’égalité de faire son chemin en matière de statut familial.

 

Marie-Laure NIBOYET

 

Je suis tout à fait d’accord avec vous pour donner une plus grande portée à l’arrêt Mazurek, mais mon inquiétude, en dehors de l’arrêt Mazurek, et donc du statut familial, c’est cette extension du concept de bien qui peut couvrir à ce moment là tout et n’importe quoi... et tout le champ économique notamment.

 

Dominique FENOUILLET-LASZLO

 

Ce qui est très curieux, c’est que dans les autres affaires, l’affaire Marckx, l’affaire Vermeire, la Cour européenne s’était fondée justement sur le statut familial, sur le droit à la vie familiale. Techniquement, la solution est discutable, et elle est symboliquement réductrice. Je la regrette donc à deux égards.

 

Michele DE SALVIA

 

J’interviens car la question qui a été posée est fondamentale. Elle pose le problème du rôle de la justice supranationale représentée par la Cour.

 

Que fait la Cour ? Jusqu’en 1975, on disait, grosso modo, la Cour condamne. L’Etat a « fauté », il paie, un point c’est tout. Puis il y a eu l’affaire Ludicke, affaire qui concernait les frais d’interprétation, l’adverbe « gratuitement » (visé à l’article 6 par. 3 e), interprété par la Cour comme consacrant une exonération totale. Le gouvernement allemand a résisté et a dit, mais non, l’article 53 déclare que je dois exécuter l’arrêt, si vous prenez le dispositif, qui dit seulement qu’il y a eu violation dans cette affaire, et que l’Etat doit verser une certaine somme. Il y a eu un baroud d’honneur, parce que le gouvernement allemand était nettement minoritaire, et finalement a prévalu l’autre option disant : il faut exécuter. J’ai dit tout à l’heure que malgré lui le Comité des ministres est un protecteur des droits de l’Homme, parce que c’est un organe collégial, ce n’est pas une somme d’Etats. Il va donc au-delà de ce que la Cour dit, et c’est pour cela qu’il y a une initiative venant à la fois de l’intérieur de la structure administrative du Conseil de l’Europe, de la direction des droits de l’Homme et de l’assemblée parlementaire qui dit : les arrêts de la Cour, pour être exécutés, doivent être beaucoup plus clairs. La Cour doit dire clairement ce qui ne va pas. La Cour n’aime pas cela, car il y a une longue tradition qui vient de ce que les pères fondateurs ont décidé en 1950. La Cour tranche le cas d’espèce. L’autre principe dit que l’arrêt de la Cour est déclaratoire et laisse à l’Etat le choix des moyens à utiliser dans son ordre juridique pour s’acquitter de l’obligation qui découle pour lui de tel ou tel article. L’Etat a une obligation de résultat et l’Etat doit faire la même chose que pour le procès équitable. Il n’y a pas qu’une seule façon d’envisager le procès équitable en matière pénale ou autre, mais le résultat doit être atteint. Peu importe par quelle voie on arrive à Rome, mais il faut y arriver !

 

Paul TAVERNIER

 

Je voudrais revenir au problème des enfants et du droit de la famille. Bien que je sois publiciste, ces deux affaires me paraissent intéressantes. Pour l’affaire Gnahore, qui est désormais définitive, je me demande s’il y a une influence de la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant de 1989 ? Est-ce qu’elle est mentionnée ? Il ne me semble pas, alors que vous ayez insisté sur la notion d’intérêt de l’enfant, laquelle est centrale dans cette Convention.

 

Sur l’affaire Mazurek, je signale que cet enfant adultérin a eu le malheur de naître quelques semaines trop tôt, puisque sa mère était en cours de divorce. Il aurait pu être un enfant « naturel simple », comme on dit suivant une formule affreuse. Je suis d’accord avec vous : pourquoi placer le problème sur le plan patrimonial ? C’est erroné. Ce qui me semble assez bizarre, c’est que dans cet arrêt il n’y ait aucune référence à l’affaire Marckx ni à l’affaire Vermeire. Ces deux affaires se plaçaient sur le terrain de l’article 8. Vous avez attiré l’attention sur la nécessité aussi pour une future réforme législative de prévoir des dispositions transitoires. Je suis sensible à ces questions de droit intertemporel, mais justement la Belgique a été condamnée dix ans après l’affaire Marckx, pour n’avoir pas respecté les exigences de l’application temporelle de l’arrêt Marckx. Il faut faire très attention à la rédaction des dispositions transitoires pour éviter une nouvelle condamnation de la France.

 

Dominique FENOUILLET-LASZLO

 

Je suis tout à fait d’accord avec vous sur la nécessité absolue de dispositions transitoires, mais cela ne sera pas si facile, dans la mesure où, en présence d’un enfant adultérin, assez fréquemment, l’auteur de l’adultère prend des dispositions à l’avance et on va donc se trouver face à des dispositions qui ont été prises sur les conseils du notaire, et qui, le cas échéant, seront applicables alors que la réforme législative sera survenue. Si on se borne à appliquer les principes classiques de conflits de lois dans le temps, le droit antérieur est alors maintenu ; on va donc appliquer un droit condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme, et depuis modifié. Il risque de s’en suivre un casse-tête absolument épouvantable d’autant qu’on risque de plaider l’erreur sur la cause, l’erreur sur le mobile, ce qui en matière de libéralité est admis, etc. etc. Il y a là un nid à contentieux tout à fait considérable et je pense qu’il faut véritablement que le législateur statue vite.

 

Paul TAVERNIER

 

M. De Salvia pourrait peut-être nous dire pourquoi on n’a pas cité l’arrêt Marckx ?

 

Michele DE SALVIA

 

Je ne sais pas, mais je pense que la question essentielle, telle qu’elle a été vue par la Cour était la question qui a été posée dans l’affaire Inze : c’est clairement un problème de succession, et donc c’est une technique qui a été utilisée par la Cour, pour une raison d’économie très sûrement (pour ne pas avoir des arrêts de 40 ou 50 pages).

 

Dans l’arrêt Marckx, c’était l’inverse, le système belge ne prévoyait pas la transformation automatique du lien biologique en un lien juridique. Donc le droit belge n’appliquait pas le principe latin : mater semper certa est. L’autre aspect était plutôt accessoire : le fait qu’il y avait des difficultés, pour l’enfant né hors mariage, d’hériter de ses grands parents s’il y avait eu reconnaissance ou adoption par la mère. La Cour a une technique qui vise à cerner d’abord le problème principal tel qu’il semble ressortir des griefs du requérant.

 

Dominique FENOUILLET-LASZLO

 

Mais là le requérant avait invoqué l’article 8, et la Cour de cassation avait été saisie de ce texte et elle s’était opposée à son application. Donc la décision de la Cour européenne avait d’autant plus de poids et elle aurait eu d’autant plus de retentissement sur le terrain de l’article 8. Il y a donc là un grief fondamental à faire à la décision.

 

Paul TAVERNIER

 

Il y a d’ailleurs eu deux opinions dissidentes...

 

Dominique FENOUILLET-LASZLO

 

Et alors que sur le reste la décision est rendue à l’unanimité, sur ce point, il y a eu effectivement deux opinions dissidentes.

 

Paul TAVERNIER

 

Il me semble que la rédaction de l’arrêt est critiquable au point de vue de la cohérence de la jurisprudence de la Cour et de sa clarté. Elle doit être claire pour des juristes moyens qui ne sont pas toujours des spécialistes de la question et qui sont issus de traditions juridiques très diverses. L’affaire Mazurek impliquait certainement une référence à l’affaire Marckx et à l’affaire Vermeire.

 

Michele DE SALVIA

 

Il y a tellement d’avocats que votre appel sera reçu !

 

Elsa HERVY (assistant de justice, T.G.I. de Nanterre)

 

Le rapport Dekeuwer-Defossez sur le droit de la famille, qui devrait a priori être un projet de loi de réforme du droit de la famille, propose de parfaire le mouvement d’égalité des filiations et donc de faire de l’enfant adultérin un enfant naturel ayant même statut. Qu’est-ce que vous en pensez Mme le professeur Fenouillet ?

 

En outre, quand le professeur Leroyer parle de l’assistance éducative, à mon sens, elle n’est pas là pour aider les parents, elle ne fonctionne que dans l’intérêt supérieur de l’enfant, quand les conditions relatives à la santé, à la moralité de l’enfant ou à son éducation ne sont pas réunies. Lorsque vous dites qu’il y a un détournement à ne pas replacer l’enfant au bout de huit ans, si on se place du point de vue de l’enfant, si le juge des enfants estime qu’il y a un danger à ce moment là, ce n’est pas un détournement de l’assistance éducative, c’est continuer à prendre en compte la situation personnelle de l’enfant, et s’il y a réellement un danger ou pas au moment où le juge doit prendre cette décision. Honnêtement, je ne suis pas du tout sûre qu’on puisse affirmer aussi fort que vous l’avez fait qu’il y avait là un véritable détournement. Je pense qu’au contraire l’assistance éducative est une assistance de l’enfant (et non pas une assistance des parents pour les aider dans l’éducation), une assistance de l’enfant pour qu’il reçoive l’éducation à laquelle il a droit.

 

Dominique FENOUILLET-LASZLO

 

Pour ce qui est du rapport Dekeuwer-Defossez, je pense qu’à partir de ce que j’ai dit sur le fait que l’inégalité successorale n’était ni une mesure de protection vis-à-vis de l’institution du mariage, ni une mesure de protection des enfants légitimes et de l'époux trompé, il est assez facile d’en déduire ce que je pense de ce rapport sur la question...

 

Anne-Marie LEROYER

 

Il y a un certain nombre de mesures qui sont effectivement prévues par la loi pour contrôler l’exercice de l’autorité parentale qui sont ressenties comme des mesures par lesquelles l’Etat s’ingère dans la vie familiale et dans la vie privée. Ces mesures sont les suivantes : l’assistance éducative, la délégation, il y a aussi l’article 350 notamment et, enfin, une quatrième mesure un peu plus ignorée : l’enfant confié à un tiers, après divorce, retrait, décès, etc. Toutes ces mesures, on l’a bien souligné, doivent rester exceptionnelles et elles ont toutes, à l’origine, une double finalité : la protection de l’enfant (c’est non seulement la finalité, c’est la condition), mais aussi (et cela apparaît de façon très claire dans tous les travaux préparatoires des lois sur l’assistance éducative, sur la déchéance, sur la délégation), d’aider les parents (et non pas de les punir, de sanctionner la fonction éducative) dans leur fonction éducative. C’est une des raisons pour lesquelles, d’ailleurs, on a débaptisé la déchéance pour parler de retrait, car on a dit : attention, actuellement, les finalités de ces institutions qui manifestent le contrôle de l’Etat sur l’autorité des parents doivent bien être comprises. En effet, il ne s’agit pas de sanctionner le comportement des parents, il ne s’agit pas uniquement de protéger l’enfant, il s’agit à la fois de protéger l’enfant et d’aider les parents. C’est une double finalité, qui n’apparaît pas comme condition dans les textes, mais qui apparaît dans l’esprit des lois. Elle apparaît d’ailleurs si manifestement qu’on en arrive à changer le vocabulaire... Cela me semble donc très dangereux quand on arrive à prendre une mesure où l’enfant est placé à quatre ans. En fait, c’est la mesure de placement elle-même qui est à l’origine de la rupture des relations entre les parents et les enfants. Quant la rupture est exceptionnelle, et reste exceptionnelle, parce qu’on vérifie qu’elle est toujours nécessaire, qu’elle reste provisoire, et le juge est parfois amené à dire que la mesure est prise pour une durée de tant de temps (c’est obligatoire), elle est révisable dans le délai de tant de temps, le droit de visite est accordé, ou n’est pas accordé, ou il est accordé au domicile d’un tiers, etc. Le juge pose des conditions très précises et la mesure va être reprise, réanalysée, mais dans cette affaire, ce n’est pas le cas : le placement a été décidé à l’âge de quatre ans, petit à petit les relations entre le père et l’enfant se sont distendues. A l’âge de 12 ans, on s’aperçoit que l’enfant n’a jamais vu son père ; le droit de visite, on n’a pas pu le lui redonner, car on s’est inquiété que le père ne suive pas de thérapie, qu’il soit toujours violent à l’égard des services d’aide à l’enfance, ce qu’on peut comprendre eu égard à la nationalité du père. On se retrouve dans une situation où l’on se demande si ce n’est pas la mesure de placement qui est à l’origine de la rupture.

 

Dans l’arrêt, et dans les faits qui sont mentionnés, la nationalité du père est un élément important car son avocat souligne bien le fait qu’il ne comprend pas pourquoi l’Etat français intervient dans ses rapports avec ses enfants, parce que, pour lui, le lien avec les enfants est un lien sacré, etc. Il y a un certain nombre d’éléments qui sont mis en avant qui sont des éléments plus de culture que de droit.

 

Effectivement, les conditions de la mesure ne sont pas celles-là, mais la finalité de la mesure, même si elle n’est pas explicite dans les textes, même si elle n’apparaît pas dans la lettre des textes parce qu’elle n’est pas indiquée à l’article 375, c’est clairement d’aider les parents. La mesure doit rester provisoire, elle doit être exceptionnelle. Quand on en fait une mesure durable pour maintenir l’enfant dans son foyer d’accueil, on dit : il y aura un danger pour l’enfant à retourner, le danger c’est d’être séparé de sa famille d’accueil, c’est cela le danger, et ce n’est pas de retourner vivre auprès de ses parents. Le danger indiqué à l’article 375, si l’enfant court un danger parce que l’autorité parentale telle qu’elle est exercée lui fait courir un danger, ce n’est plus la même chose. Il y a une différence entre dire il court un danger s’il retourne vivre chez ses parents, donc on le place (article 375, ce sont les conditions), et puis, il court un danger si on le retire de sa famille d’accueil, donc on maintient le placement. Ce n’est pas le même texte, et il faudrait songer à un autre, si on souhaite effectivement assurer la stabilité de vie d’un enfant qui est placé durablement auprès d’un tiers, parce qu’on souhaite maintenir la mesure de placement, parce qu’il y a des mesures de placement qui s’éternisent dans le temps et qui font qu’on se retrouve devant une famille « nourricière » qui n’a aucune autorité parentale sur l’enfant puisqu’elle peut accomplir les actes usuels d’éducation et de surveillance, mais normalement les parents sont toujours en présence au titre de mesures d’assistance éducative titulaires de l’autorité parentale. On se trouve en présence d’un système bizarre où l’enfant est élevé par la famille nourricière, où le père a toujours l’autorité parentale, mais où en même temps il est prévu un droit de visite quelquefois, et la famille nourricière n’a pas le droit d’accomplir les actes graves. C’est un système qui semble donc détourner l’assistance éducative de sa fonction...

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